de toilette.
En bas dans le parc, une mer d'ombre roulait. Les masses couleur
d'encre des hauts feuillages secoués par de brusques rafales avaient un
large balancement de flux et de reflux, avec ce bruit de feuilles sèches
qui rappelle l'égouttement des vagues sur une plage de cailloux.
Seuls, rayant par instants ce remous de ténèbres, les deux yeux jaune
d'or d'une voiture paraissaient et disparaissaient entre les massifs, le
long de la grande allée qui va de l'avenue de la Reine-Hortense au
boulevard Malesherbes. Renée, en face de ces mélancolies de l'automne,
sentit toutes ses tristesses lui remonter au coeur.
Elle se revit enfant dans la maison de son père, dans cet hôtel
silencieux de l'île Saint-Louis, où depuis deux siècles les Béraud du
Châtel mettaient leur gravité noire de magistrats. Puis elle songea au
coup de baguette de son mariage, à ce veuf qui s'était vendu pour
l'épouser, et qui avait troqué son nom de Rougon contre ce nom de
Saccard, dont les deux syllabes sèches avaient sonné à ses oreilles, les
premières fois, avec la brutalité de deux râteaux ramassant de l'or; il la
prenait, il la jetait dans cette vie à outrance, où sa pauvre tête se
détraquait un peu plus tous les jours. Alors, elle se mit à rêver, avec une
joie puérile, aux belles parties de raquette qu'elle avait faites jadis avec
sa jeune soeur Christine.
Et, quelque matin, elle s'éveillerait du rêve de jouissance qu'elle faisait
depuis dix ans, folle, salie par une des spéculations de son mari, dans
laquelle il se noierait lui-même. Ce fut comme un pressentiment rapide.
Les arbres se lamentaient à voix plus haute. Renée, troublée par ces
pensées de honte et de châtiment, céda aux instincts de vieille et
honnête bourgeoisie qui dormaient au fond d'elle; elle promit à la nuit
noire de s'amender, de ne plus tant dépenser pour sa toilette, de
chercher quelque jeu innocent qui pût la distraire, comme aux jours
heureux du pensionnat, lorsque les élèves chantaient:
Nous n'irons plus au bois, en tournant doucement sous les platanes.
A ce moment, Céleste, qui était descendue, rentra et murmura à l'oreille
de sa maîtresse:
--Monsieur prie madame de descendre. Il y a déjà plusieurs personnes
au salon.
Renée tressaillit. Elle n'avait pas senti l'air vif qui glaçait ses épaules.
En passant devant son miroir, elle s'arrêta, se regarda d'un mouvement
machinal. Elle eut un sourire involontaire, et descendit.
En effet, presque tous les convives étaient arrivés. Il y avait en bas sa
soeur Christine, une jeune fille de vingt ans, très simplement mise en
mousseline blanche; sa tante Élisabeth, la veuve du notaire Aubertot, en
satin noir, petite vieille de soixante ans, d'une amabilité exquise; la
soeur de son mari, Sidonie Rougon, femme maigre, doucereuse, sans
âge certain, au visage de cire molle, et que sa robe de couleur éteinte
effaçait encore davantage; puis les Mareuil, le père, M. de Mareuil, qui
venait de quitter le deuil de sa femme, un grand bel homme, vide,
sérieux, ayant une ressemblance frappante avec le valet de chambre
Baptiste, et la fille, cette pauvre Louise, comme on la nommait, une
enfant de dix-sept ans, chétive, légèrement bossue, qui portait avec une
grâce maladive une robe de foulard blanc, à pois rouges; puis tout un
groupe d'hommes graves, gens très décorés, messieurs officiels à têtes
blêmes et muettes, et, plus loin, un autre groupe, des jeunes hommes,
l'air vicieux, le gilet largement ouvert, entourant cinq ou six dames de
haute élégance, parmi lesquelles trônaient les inséparables, la petite
marquise d'Espanet, en jaune, et la blonde Mme Haffner, en violet. M.
de Mussy, ce cavalier au salut duquel Renée n'avait pas répondu, était
là également, avec la mine inquiète d'un amant qui sent venir son congé.
Et, au milieu des longues traînes étalées sur le tapis, deux entrepreneurs,
deux maçons enrichis, les Mignon et Charrier, avec lesquels Saccard
devait terminer une affaire le lendemain, promenaient lourdement leurs
fortes bottes, les mains derrière le dos, crevant dans leur habit noir.
Aristide Saccard, debout auprès de la porte, tout en pérorant devant le
groupe des hommes graves, avec son nasillement et sa verve de
méridional, trouvait le moyen de saluer les personnes qui arrivaient. Il
leur serrait la main, leur adressait des paroles aimables. Petit, la mine
chafouine, il se pliait comme une marionnette; et, de toute sa personne
grêle, rusée, noirâtre, ce qu'on voyait le mieux, c'était la tache rouge du
ruban de la Légion d'honneur, qu'il portait très large.
Quand Renée entra, il y eut un murmure d'admiration.
Elle était vraiment divine. Sur une première jupe de tulle, garnie,
derrière, d'un flot de volants, elle portait une tunique de satin vert
tendre, bordée d'une haute dentelle d'Angleterre, relevée et attachée par
de grosses touffes de violettes; un seul volant garnissait le devant de
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