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La culture des idées
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Title: La culture des idées
Author: Remi de Gourmont
Release Date: January 18, 2006 [EBook #17541]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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REMY DE GOURMONT
La
Culture des Idées
DU STYLE OU DE L'éCRITURE--LA CRéATION SUBCONSCIENTE--LA DISSOCIATION DES IDéES STéPHANE MALLARMé ET L'IDéE DE DéCADENCE LE PAGANISME éTERNEL--LA MORALE DE L'AMOUR IRONIES ET PARADOXES
DEUXIèME éDITION
PARIS SOCIéTé DV MERCVRE DE FRANCE XV, RVE DE L'éCHAVDé-SAINT-GERMAIN, XV
MCM
DU STYLE OU DE L'éCRITURE
I
Et ideo confiteatur eorum stultitia, qui arte, scientiaque immnunes, de solo ingenio confidentes, ad summa summe canenda prorumpunt; a tanto prosuntuositate desistant, et si anseres naturali desidia sunt, nolint astripetam aquilam imitari.
DANTIS ALIGHIERI, De vulgari eloquio, II. 4.
Déprécier ?l'écriture?, c'est une précaution que prennent de temps à autre les écrivains nuls; ils la croient bonne; elle est le signe de leur médiocrité et l'aveu d'une tristesse. Ce n'est pas sans dépit que l'impuissant renonce à la jolie femme aux yeux trop limpides; il doit y avoir de l'amertume dans le dédain public d'un homme qui confesse l'ignorance première de son métier ou l'absence du don sans lequel l'exercice de ce métier est une imposture. Cependant quelques-uns de ces pauvres se glorifient de leur indigence; ils déclarent que leurs idées sont assez belles pour se passer de vêtement, que les images les plus neuves et les plus riches ne sont que des voiles de vanité jetés sur le néant de la pensée, que ce qui importe, après tout, c'est le fond et non la forme, l'esprit et non la lettre, la chose et non le mot, et ils peuvent parler ainsi très longtemps, car ils possèdent une meute de clichés nombreuse et docile, mais pas méchante. Il faut plaindre les premiers et mépriser les seconds et ne leur rien répondre, sinon ceci: qu'il y a deux littératures et qu'ils font partie de l'autre.
Deux littératures: c'est une manière de dire provisoire et de prudence, afin que la meute nous oublie, ayant sa part du paysage et la vue du jardin où elle n'entrera pas. S'il n'y avait pas deux littératures et deux provinces, il faudrait égorger immédiatement presque tous les écrivains fran?ais; cela serait une besogne bien malpropre et de laquelle, pour ma part, je rougirais de me mêler. Laissons donc; la frontière est tracée; il y a deux sortes d'écrivains: les écrivains qui écrivent et les écrivains qui n'écrivent pas,--comme il y a les chanteurs aphones et les chanteurs qui ont de la voix.
Il semble que le dédain du style soit une des conquêtes de quatre-vingt-neuf. Du moins, avant l'ère démocratique, il n'avait jamais été question que pour les bafouer des écrivains qui n'écrivent pas. Depuis Pisistrate jusqu'à Louis XVI, le monde civilisé est unanime sur ce point: un écrivain doit savoir écrire. Les Grecs pensaient ainsi; les Romains aimaient tant le beau style qu'ils finirent par écrire très mal, voulant écrire trop bien. S. Ambroise estimait l'éloquence au point de la considérer comme un des dons du Paraclet, vox donus Spiritus, et S. Hilaire de Poitiers, au chapitre treize de son Traité des Psaumes, n'hésite pas à dire que le mauvais style est un péché. Ce n'est donc pas du christianisme romain qu'a pu nous venir notre indulgence présente pour la littérature informe; mais comme le christianisme est nécessairement responsable de toutes les agressions modernes contre la beauté extérieure, on pourrait supposer que le go?t du mauvais style est une de ces importations protestantes dont fut, au dix-huitième siècle, souillée la terre de France: le mépris du style et l'hypocrisie des moeurs sont des vices anglicans[1].
[Note 1: Sur l'importance et l'influence du protestantisme à cette époque, voir l'ouvrage de Ed. Hugues, que tous les protestants démarquent depuis vingt-cinq ans, _Histoire de la Restauration du Protestantisme en France au XVIIIe siècle_ (1872).]
Cependant si le dix-huitième siècle écrit mal, c'est sans le savoir; il trouve que Voltaire écrit bien, surtout en vers; il ne reproche à Ducis que la barbarie de ses modèles; il a un idéal; il n'admet pas que la philosophie soit une excuse de la grossièreté littéraire; on versifie les traités d'Isaac Newton et jusqu'aux recettes de jardinage et jusqu'aux manuels de cuisine. Ce besoin de mettre où il n'en faut pas de l'art et du beau langage le conduisit à adopter un style moyen, propre à rehausser
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