La corde au cou | Page 6

Emile Gaboriau
Aux premiers cris d'alarme, tous les gens des environs ��taient accourus, et il en arrivait encore �� chaque minute, mais personne ne se trouvait l�� pour diriger.
Le sauvetage du mobilier surtout les pr��occupait. Les plus hardis tenaient bon dans les appartements et, en proie �� une sorte de vertige, jetaient par les fen��tres tout ce qui leur tombait sous la main. Et dans le milieu de la cour, s'amoncelaient p��le-m��le les lits, les matelas, les chaises, le linge, les livres, les v��tements...
Cependant une immense clameur salua l'arriv��e de M. S��neschal et de ses compagnons.
--Voil�� monsieur le maire! s'��criaient les paysans, rassur��s par sa seule pr��sence et pr��ts �� lui ob��ir.
M. S��neschal, du reste, jugea bien d'un coup d'oeil la situation.
--Oui, c'est moi, mes amis, dit-il, et je vous f��licite de votre empressement, il s'agit, �� cette heure, de ne pas gaspiller nos forces. La ferme, les chais et les batiments d'exploitation sont perdus, abandonnons-les. Concentrons nos efforts sur le chateau... Organisons-nous! La rivi��re est tout proche, formons la cha?ne. Tout le monde �� la cha?ne, hommes et femmes!... Et de l'eau, de l'eau... voil�� les pompes.
On les entendait, en effet, rouler comme un tonnerre. Les pompiers parurent. Le capitaine Parenteau prit la direction des secours. Et, enfin, M. S��neschal put s'informer du comte de Claudieuse.
--Le ma?tre est l��, lui r��pondit une vieille femme en montrant, �� cent pas, une maisonnette �� toit de chaume, c'est le m��decin qui l'y a fait transporter.
--Allons le voir, messieurs, dit vivement le maire au procureur de la R��publique et au juge d'instruction.
Mais ils s'arr��t��rent au seuil de l'unique pi��ce de cette pauvre demeure. C'��tait une grande chambre, au sol de terre battue, aux solives noircies et toutes charg��es d'outils et de paquets de graines. Deux lits �� colonnes torses et �� rideaux de serge jaunatre, deux bons grands lits de Saintonge, occupaient tout le fond. Sur celui de gauche, une petite fille de quatre �� cinq ans dormait, roul��e dans une couverture, sous la garde de sa soeur, de deux ou trois ans plus ag��e. Sur le lit de droite, le comte de Claudieuse ��tait ��tendu, ou plut?t assis, car on avait entass�� sous ses reins tout ce qu'on avait pu arracher d'oreillers �� l'incendie.
Il avait le torse nu et ruisselant de sang, et un homme, le docteur Seignebos, en bras de chemise et les manches retrouss��es jusqu'au coude, s'inclinait vers lui et, une ��ponge d'une main, un bistouri de l'autre, semblait absorb�� par quelque grave et d��licate op��ration. V��tue d'une robe de mousseline claire, la comtesse de Claudieuse ��tait debout au pied du lit de son mari, pale, mais sublime de calme et de fermet�� r��sign��e. Elle tenait une lampe et en dirigeait la lumi��re selon les indications du docteur. Dans un coin, deux servantes ��taient assises sur un coffre et, leur tablier relev�� sur la t��te, pleuraient.
Singuli��rement ��mu, le maire de Sauveterre prit enfin sur lui d'entrer. Ce fut le comte de Claudieuse qui le premier l'aper?ut:
--Eh! c'est ce brave S��neschal! dit-il. Approchez, cher ami, approchez!... L'ann��e 1871, vous le voyez, est une ann��e fatale. De tout ce que je poss��dais, il ne restera plus, au jour, que quelques pellet��es de cendres...
--C'est un grand malheur, r��pondit le digne maire, mais nous en avons craint un bien plus irr��parable... Dieu merci, vous vivrez...
--Qui sait! Je souffre terriblement... Mme de Claudieuse tressaillit.
--Trivulce! murmura-t-elle d'une voix doucement suppliante, Trivulce!
Jamais amant n'arr��ta sur l'amie de son ame un regard plus tendre que celui dont M. de Claudieuse enveloppa sa femme.
--Pardonne-moi, ch��re Genevi��ve, pardonne-moi mon manque de courage...
Un spasme nerveux lui coupa la parole, et tout aussit?t, d'une voix ��clatante comme une trompette:
--Monsieur! s'��cria-t-il, docteur! Tonnerre du ciel!... Vous m'��corchez!
--J'ai l�� du chloroforme, pronon?a froidement le m��decin.
--Je n'en veux pas!
--R��signez-vous alors �� souffrir... Et tenez-vous tranquille, car chacun de vos mouvements augmente la souffrance. (Sur quoi, ��pongeant un filet de sang qui venait de jaillir sous son bistouri:) Du reste, ajouta-t-il, nous allons prendre quelques minutes de repos. Mes yeux et ma main se fatiguent... Je ne suis plus jeune, d��cid��ment.
Le docteur Seignebos avait soixante ans. C'��tait un petit homme au teint bilieux, maigre, chauve, d'une tenue plus que n��glig��e, et porteur d'une paire de lunettes d'or qu'il passait sa vie �� retirer, �� essuyer et �� remettre.
Sa r��putation m��dicale ��tait grande, on citait de lui, �� Sauveterre, des cures merveilleuses; cependant il n'avait que peu d'amis. Les ouvriers lui reprochaient sa morgue d��daigneuse, les paysans son apret�� au gain, et les bourgeois ses opinions politiques.
On rapporte qu'un soir, dans un banquet, il s'��tait ��cri�� en levant son verre: ?Je bois �� la m��moire du seul m��decin dont j'envie la pure et noble gloire: �� la m��moire de mon compatriote le docteur Guillotin, de Saintes!? Avait-il vraiment port�� ce toast? Le positif, c'est qu'il se posait en
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