mine,
Ne voyant que la nuit.
Puis, s'ils etaient jaloux, les morts, tout ce que Dante
A place de
tourments dans sa spirale ardente
Pres des leurs seraient doux.
Amants, vous qui savez ce qu'est la
jalousie,
Ce qu'on souffre de maux a cette frenesie,
Un cadavre jaloux!
Impuissance et fureur! Etre la, dans sa fosse,
Quand celle qu'on
aimait de tout son amour, fausse
Aux beaux serments jures,
En se raillant de vous, dans d'autres bras
repete
Ce qu'elle vous disait, rouge et penchant la tete
Avec des mots sacres.
Et ne pouvoir venir, quelque nuit de decembre,
Pendant qu'elle est au
bal, se tapir dans sa chambre,
Et lorsque, de retour,
Rieuse, elle defait au miroir sa toilette,
Dans
le cristal profond reflechir son squelette
Et sa poitrine a jour,
Riant affreusement, d'un rire sans gencive,
Marbrer de baisers froids
sa gorge convulsive,
Et, tenaillant sa main,
Sa main blanche et rosee avec sa main osseuse,
Faire raler ces mots d'une voix caverneuse
Qui n'a plus rien d'humain:
"Femme, vous m'avez fait des promesses sans nombre.
Si vous
oubliez, vous, dans ma demeure sombre,
Moi je me ressouviens.
Vous avez dit a l'heure ou la mort me vint
prendre,
Que vous me suivriez bientot; lasse d'attendre,
Pour vous chercher je viens!"
Dans un repli de moi, cette pensee etrange
Est la comme un cancer
qui m'use et qui me mange;
Mon oeil en devient creux;
Sur mon front nuager de nouveaux plis se
fouillent,
De cheveux et de chair mes tempes se depouillent,
Car ce serait affreux!
La mort ne serait plus le remede supreme;
L'homme, contre le sort,
dans la tombe elle-meme
N'aurait pas de recours,
Et l'on ne pourrait plus se consoler de vivre,
Par l'espoir tant fete du calme qui doit suivre
L'orage de nos jours.
II.
Dans le fond de mon ame, agitant ma pensee,
Je restais la reveur et la
tete baissee
Debout contre un tombeau.
C'etait un marbre neuf, et sur la blanche
epaule
D'un genie eplore, les longs cheveux d'un saule
Tombaient comme un manteau.
La bise feuille a feuille emportait la couronne
Dont les debris
jonchaient le fut de la colonne;
On aurait dit les pleurs
Que sur la jeune fille, au printemps
moissonnee,
Pauvre fleur du matin, avant midi fanee,
Versaient les autres fleurs.
La lune entre les ifs faisait luire sa corne;
De grands nuages noirs
couraient sur le ciel morne
Et passaient par devant;
Les feux follets valsaient autour du cimetiere,
Et le saule pleureur secouait sa criniere
Eparpillee au vent.
On entendait des bruits venus de l'autre monde,
Des soupirs de terreur
et d'angoisse profonde,
Des voix qui demandaient
Quand donc a leurs tombeaux l'on mettrait
des fleurs neuves, Comment allait la terre, et pourquoi donc leurs
veuves
Aussi longtemps tardaient?
Tout a coup... j'ose a peine en croire mon oreille,
Sous le marbre
entr'ouvert, o terreur! o merveille!
J'entendis qu'on parlait.
C'etait un dialogue, et, du fond de la fosse,
A la premiere voix, une voix aigre et fausse
Par instant se melait.
Le froid me prit. Mes dents d'epouvante claquerent;
Mes genoux
chancelants sous moi s'entrechoquerent.
Je compris que le ver
Consommait son hymen avec la trepassee,
Eveillee en sursaut dans sa couche glacee,
Par cette nuit d'hiver.
LA TREPASSEE.
Est-ce une illusion? Cette nuit tant revee,
La nuit du mariage elle est
donc arrivee?
C'est le lit nuptial.
Voici l'heure ou l'epoux, jeune et parfume, cueille
La beaute de l'epouse, et sur son front effeuille
L'oranger virginal.
LE VER.
Cette nuit sera longue, o blanche trepassee,
Avec moi, pour toujours,
la mort t'a fiancee;
Ton lit c'est le tombeau.
Voici l'heure ou le
chien contre la lune aboie,
Ou le pale vampire erre et cherche sa proie,
Ou descend le corbeau.
LA TREPASSEE.
Mon bien-aime, viens donc! l'heure est deja passee
Oh! tiens-moi sur
ton coeur, entre tes bras pressee.
J'ai bien peur, j'ai bien froid.
Rechauffe a tes baisers ma bouche qui se
glace.
Oh! viens, je tacherai de te faire une place
Car le lit est etroit!
LE VER.
Cinq pieds de long sur deux de large. La mesure
Est prise exactement;
cette couche est trop dure,
L'epoux ne viendra pas.
Il n'entend pas tes cris. Il rit dans quelque
fete.
Allons, sur ton chevet repose en paix ta tete
Et recroise tes bras.
LA TREPASSEE.
Quel est donc ce baiser humide et sans haleine,
Cette bouche sans
levres est-ce une bouche humaine,
Est-ce un baiser vivant?
O prodige! A ma droite, a ma gauche,
personne.
Mes os craquent d'horreur, toute ma chair frissonne
Comme un tremble au grand vent.
LE VER.
Ce baiser c'est le mien: je suis le ver de terre;
Je viens pour accomplir
le solennel mystere.
J'entre en possession;
Me voila ton epoux, je te serai fidele.
Le
hibou tout joyeux fouettant l'air de son aile
Chante notre union.
LA TREPASSEE.
Oh! si quelqu'un passait aupres du cimetiere!
J'ai beau heurter du
front les planches de ma biere,
Le couvercle est trop lourd!
Le fossoyeur dort mieux que les morts
qu'il enterre.
Quel silence profond! la route est solitaire;
L'echo lui-meme est sourd.
LE VER.
A moi tes bras d'ivoire, a moi
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