La chasse galerie | Page 3

Honoré Beaugrand
un quart d'heure, environ, nous naviguames au-dessus de la for��t sans apercevoir autre chose que les bouquets des grands pins noirs. Il faisait une nuit superbe et la lune, dans son plein, illuminait le firmament comme un beau soleil du midi. Il faisait un froid du tonnerre et nos moustaches ��taient couvertes de givre, mais nous ��tions cependant tous en nage. ?a se comprend ais��ment puisque c'��tait le diable qui nous menait et je vous assure que ce n'��tait pas sur le train de la Blanche. Nous aper??mes bient?t une ��claircie, c'��tait la Gatineau dont la surface glac��e et polie ��tincelait au-dessous de nous comme un immense miroir. Puis, p'tit-��-p'tit nous aper??mes des lumi��res dans les maisons d'habitants; puis des clochers d'��glises qui reluisaient comme des ba?onnettes de soldats, quand ils font l'exercice sur le Champ de Mars de Montr��al. On passait ces clochers aussi vite qu'on passe les poteaux de t��l��graphe, quand on voyage en chemin de fer. Et nous filions toujours comme tous les diables, passant par-dessus les villages, les for��ts, les rivi��res et laissant derri��re nous comme une tra?n��e d'��tincelles. C'est Baptiste, le poss��d��, qui gouvernait, car il connaissait la route et nous arrivames bient?t �� la rivi��re des Outaouais qui nous servit de guide pour descendre jusqu'au lac des Deux-Montagnes.
--Attendez un peu, cria Baptiste. Nous allons raser Montr��al et nous allons effrayer les coureux qui sont encore dehors �� c'te heure cite. Toi, Joe! l��, en avant, ��claircis-toi le gosier et chante-nous une chanson sur l'aviron.
En effet, nous apercevions d��j�� les mille lumi��res de la grande ville, et Baptiste, d'un coup d'aviron, nous fit descendre �� peu pr��s au niveau des tours de Notre-Dame. J'enlevai ma chique pour ne pas l'avaler, et j'entonnai �� tue-t��te cette chanson de circonstance que tous les canotiers r��p��t��rent en choeur:
Mon p��re n'avait fille que moi, Canot d'��corce qui va voler, Et dessus la mer il m'envoie: Canot d'��corce qui vole, qui vole, Canot d'��corce qui va voler!
Et dessus la mer il m'envoie, Canot d'��corce qui va voler, Le marinier qui me menait: Canot d'��corce qui vole, qui vole, Canot d'��corce qui va voler!
Le marinier qui me menait, Canot d'��corce qui va voler, Me dit, ma belle, embrassez-moi: Canot d'��corce qui vole, qui vole, Canot d'��corce qui va voler!
Me dit, ma belle, embrassez-moi, Canot d'��corce qui va voler, Non, non, monsieur, je ne saurais: Canot d'��corce qui vole, qui vole, Canot d'��corce qui va voler!
Non, non, monsieur, je ne saurais, Canot d'��corce qui va voler, Car si mon papa le savait: Canot d'��corce qui vole, qui vole, Canot d'��corce qui va voler!
Car si mon papa le savait, Canot d'��corce qui va voler, Ah! c'est bien s?r qu'il me battrait. Canot d'��corce qui vole, qui vole, Canot d'��corce qui va voler!
IV
Bien qu'il f?t pr��s de deux heures du matin, nous v?mes des groupes S'arr��ter dans les rues pour nous voir passer, mais nous filions si vite qu'en un clin d'oeil nous avions d��pass�� Montr��al et ses faubourgs, et alors je commen?ai �� compter les clochers: la Longue-Pointe, la Pointe-aux-Trembles, Repentigny, Saint-Sulpice, et enfin les deux fl��ches argent��es de Lavaltrie qui dominaient le vert sommet des grands pins du domaine.
--Attention! vous autres, nous cria Baptiste. Nous allons atterrir �� l'entr��e du bois, dans le champ de mon parrain, Jean-Jean Gabriel, et nous nous rendrons ensuite �� pied pour aller surprendre nos connaissances dans quelque fricot ou quelque danse du voisinage.
Qui fut dit fut fait, et cinq minutes plus tard notre canot reposait dans un banc de neige �� l'entr��e du bois de Jean-Jean Gabriel; et nous part?mes tous les huit �� la file pour nous rendre au village. Ce n'��tait pas une mince besogne car il n'y avait pas de chemin battu et nous avions de la neige jusqu'au califourchon. Baptiste qui ��tait plus effront�� que les autres s'en alla frapper �� la porte de la maison de son parrain o�� l'on apercevait encore de la lumi��re, mais il n'y trouva qu'une fille _engag��re_ qui lui annon?a que les vieilles gens ��taient �� un snaque chez le p��re Robillard, mais que les farauds et les filles de la paroisse ��taient presque tous rendus chez Batissette Aug��, �� la Petite-Mis��re en bas de Contrecoeur, de l'autre c?t�� du fleuve, l�� o�� il y avait un rigodon du jour de l'an.
--Allons au rigodon, chez Batissette Aug��, nous dit Baptiste, on est certain d'y rencontrer nos blondes.
--Allons chez Batissette!
Et nous retournames au canot, tout en nous mettant mutuellement en garde sur le danger qu'il y avait de prononcer certaines paroles et de prendre un coup de trop, car il fallait reprendre la route des chantiers et y arriver avant six heures du matin, sans quoi nous ��tions flamb��s comme des carcajous, et le diable nous emportait au fin fond des enfers.
Acabris! Acabras! Acabram! Fais-nous voyager par-dessus
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