La chasse galerie | Page 4

Honoré Beaugrand
les montagnes!
cria de nouveau Baptiste. Et nous voilà repartis pour la Petite-Misère, en naviguant en l'air comme des renégats que nous étions tous. En deux tours d'aviron, nous avions traversé le fleuve et nous étions rendus chez Batissette Augé dont la maison était tout illuminée. On entendait vaguement, au dehors, les sons du violon et les éclats de rire des danseurs dont on voyait les ombres se trémousser, à travers les vitres couvertes de givre. Nous cachames notre canot derrière les tas de bourdillons qui bordaient la rive, car la glace avait refoulé, cette année-là.
--Maintenant, nous répéta Baptiste, pas de bêtises, les amis, et attention à vos paroles. Dansons comme des perdus, mais pas un seul verre de Molson, ni de jama?que, vous m'entendez! Et au premier signe, suivez-moi tous, car il faudra repartir sans attirer l'attention.
Et nous allames frapper à la porte.
V
Le père Batissette vint ouvrir lui-même et nous f?mes re?us à bras ouverts par les invités que nous connaissions presque tous.
Nous f?mes d'abord assaillis de questions:
--D'où venez-vous?
--Je vous croyais dans les chantiers!
--Vous arrivez bien tard!
--Venez prendre une larme!
Ce fut encore Baptiste qui nous tira d'affaire en prenant la parole:
--D'abord, laissez-nous nous décapoter et puis ensuite laissez-nous danser. Nous sommes venus exprès pour ?a. Demain matin, je répondrai à toutes vos questions et nous vous raconterons tout ce que vous voudrez.
Pour moi j'avais déjà reluqué Liza Guimbette qui était faraudée par le p'tit Boisjoli de Lanoraie. Je m'approchai d'elle pour la saluer et pour lui demander l'avantage de la prochaine qui était un reel à quatre. Elle accepta avec un sourire qui me fit oublier que j'avais risqué le salut de mon ame pour avoir le plaisir de me trémousser et de battre des ailes de pigeon en sa compagnie. Pendant deux heures de temps, une danse n'attendait pas l'autre et ce n'est pas pour me vanter si je vous dis que dans ce temps-là, il n'y avait pas mon pareil à dix lieues à la ronde pour la gigue simple ou la voleuse. Mes camarades, de leur c?té, s'amusaient comme des lurons, et tout ce que je puis vous dire, c'est que les gar?ons d'habitants étaient fatigués de nous autres, lorsque quatre heures sonnèrent à la pendule. J'avais cru apercevoir Baptiste Durand qui s'approchait du buffet où les hommes prenaient des nippes de whisky blanc, de temps en temps, mais j'étais tellement occupé avec ma partenaire que je n'y portai pas beaucoup d'attention. Mais maintenant que l'heure de remonter en canot était arrivée, je vis clairement que Baptiste avait pris un coup de trop et je fus obligé d'aller le prendre par le bras pour le faire sortir avec moi en faisant signe aux autres de se préparer à nous suivre sans attirer l'attention des danseuses. Nous sort?mes donc les uns après les autres sans faire semblant de rien et, cinq minutes plus tard, nous étions remontés en canot, après avoir quitté le bal comme des sauvages, sans dire bonjour à personne, pas même à Liza que j'avais invitée pour danser un foin. J'ai toujours pensé que c'était cela qui l'avait décidée à me trigauder et à épouser le petit Boisjoli sans même m'inviter à ses noces, la bougresse. Mais pour revenir à notre canot, je vous avoue que nous étions rudement embêtés de voir que Baptiste Durand avait bu un coup car c'était lui qui nous gouvernait et nous n'avions juste que le temps de revenir au chantier pour six heures du matin, avant le réveil des hommes qui ne travaillaient pas le jour du jour de l'an. La lune était disparue et il ne faisait plus aussi clair qu'auparavant et ce n'est pas sans crainte que je pris ma position à l'avant du canot, bien décidé à avoir l'oeil sur la route que nous allions suivre. Avant de nous enlever dans les airs, je me retournai et je dis à Baptiste:
--Attention! là, mon vieux. Pique tout droit sur la montagne de Montréal, aussit?t que tu pourras l'apercevoir.
--Je connais mon affaire, répliqua Baptiste, et mêle-toi des tiennes!
Et avant que j'aie eu le temps de répliquer:
Acabris! Acabras! Acabram! Fais-nous voyager par-dessus les montagnes!
VI
Et nous voilà repartis à toute vitesse. Mais il devint aussit?t évident que notre pilote n'avait plus la main aussi s?re, car le canot décrivait des zigzags inquiétants. Nous ne passames pas à cent pieds du clocher de Contrecoeur et au lieu de nous diriger à l'ouest, vers Montréal, Baptiste nous fit prendre les bordées vers la rivière Richelieu. Quelques instants plus tard, nous passames par-dessus la montagne de Beloeil et il ne s'en manqua pas de dix pieds que l'avant du canot n'allat se briser sur la grande croix de tempérance que l'évêque de Québec avait plantée là.
--à droite! Baptiste! à droite! mon vieux, car tu vas nous envoyer chez le diable, si tu ne
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