rencontra
dans le vestibule, et qui se disposait à l'accompagner pour l'aider à faire
sa toilette de nuit.
En entrant dans sa chambre à coucher, elle s'enferma, s'enfonça dans un
fauteuil devant la cheminée, où pétillait un bon feu de hêtre, et se mit à
réfléchir.
Bientôt on frappa à la porte.
--Ah! mon Dieu! dit-elle en fureur, il me poursuivra donc jusqu'ici!
--C'est moi, Clotilde, je ne vous tourmenterai pas, je veux seulement
vous souhaiter le bonsoir, dit la voix du baron à travers la serrure.
--Je ne puis; je suis couchée, répondit-elle.
Monsieur de Grandfroy insista.
Elle garda le silence; et, après quelques minutes de supplications et de
menaces, elle eut le plaisir de l'entendre partir en grommelant des
injures.
--Ah! cette situation n'est plus tenable; il la faut rompre! s'écria la jeune
femme en ensevelissant sa tête dans ses mains. Demain, j'aviserai, et si
ma belle-mère ne me veut point recevoir, eh bien, j'irai à Paris; j'y
travaillerai pour vivre. Mais rester davantage dans cet enfer, non, mille
fois non! Pourtant, il m'en coûtera de délaisser ces deux chers petits
enfants du baron. Ils sont si jeunes, si intéressants! l'aîné surtout qui
commence à parler... Ah! que leur mère a dû être malheureuse! Morte,
après trois ans de mariage! Pauvre femme, je suis certaine gué c'est ce
misérable qui l'a tuée par ses hideuses brutalités. Ah! pourquoi une
marâtre m'a-t-elle vendue à lui! Pourquoi ai-je ajouté foi à leurs
mensonges! Pourquoi, lasse de leurs obsessions, ai-je prononcé ce oui
fatal?... Mais comme il fait froid ici! Est-ce que Maria aurait oublié de
fermer la fenêtre? Je sens un courant d'air...
En murmurant ces paroles, Clotilde se leva et se dirigea vers la croisée.
Aux premiers pas, son pied cria sur un corps friable..
--Tiens, dit-elle, on a cassé un carreau. Cette chambre est remplie de
verre. Comment se fait-il que Maria ne l'ait pas remarqué! On risque de
se blesser.
La jeune femme se baissa pour ramasser un fragment de vitre qui gisait
sur le parquet, et elle aperçut un objet blanc près des débris de verre.
Elle prit cet objet dans ses mains et l'examina.
C'était une feuille de papier roulée autour d'un petit caillou.
Clotilde développa le papier. Quelques lignes y étaient tracées au
crayon.
A peine la jeune femme eut-elle jeté les yeux sur ces lignes, qu'elle
tressaillit et changea de couleur.
--L'écriture de Maurice! fit-elle en serrant le papier dans sa main par un
mouvement involontaire, et en regardant, de côté et d'autre, comme si
elle avait peur que quelqu'un ne l'épiât.
La pièce était bien close; il n'y avait personne.
Néanmoins, madame de Grandfroy tira les rideaux des fenêtres et alla
s'assurer que la porte était verrouillée.
Puis, elle s'approcha d'une lampe, et, tremblante, elle lut le billet.
Il était conçu en ces termes:
«Je suis ici; j'attends dans le parc depuis la chute du jour; j'attendrai
toute la nuit, s'il est nécessaire; je veux vous voir, vous parler... Un
signe, j'escalade le balcon, je suis près de vous; un refus, demain, vous
apprendrez ma mort.»
--Maurice ici! Maurice de retour! dit Clotilde en joignant ses mains
avec autant de joie que d'effroi, après avoir lancé le papier au feu. Que
vais-je faire? Je ne puis le recevoir! Si on venait... si on le surprenait
dans ma chambre... Mais le laisser dans le parc... par cette température
glaciale... Et ce suicide... ce suicide dont il parle... Oh! non, non, non...
Mais je ne suis plus libre... je ne puis plus disposer de mes actions... je
suis mariée! Mariée!... le déshonneur!.... N'importe! Maurice est
honnête... Je le reverrai cette fois... rien que cette fois... une heure... pas
davantage... et nous nous quitterons... pour toujours...
Madame de Grandfroy avait déjà la main sur l'espagnolette de la
fenêtre, elle l'ouvrit en frémissant.
Un jeune homme, enveloppé dans un manteau couvert de neige, tomba
à ses pieds.
--Clotilde! s'écria-t-il en lui embrassant les genoux.
--Maurice! balbutia-t-elle.
--Ah! continua le jeune homme, je paierais volontiers de mes jours ce
moment d'ivresse. Un baiser, ma Clotilde! un baiser! Oh! donne-le moi!
que je respire le parfum de tes lèvres...
--Maurice, dit la jeune femme haletante, relevez-vous, de grâce! j'ai été
folle de vous ouvrir... Ne me faites pas regretter ma faiblesse... Mais
comme il a froid, mon Dieu!... Il grelotte... Quelle imprudence aussi...
Venir par cette nuit d'hiver... Voyons, mon bon Maurice, laissez-moi
fermer la fenêtre et asseyez-vous...
--Quoi! pas un baiser auparavant! dit-il en l'inondant de ses regards
magnétiques. Vaincue, subjuguée, elle s'inclina languissamment et lui
effleura le front.
La croisée fut refermée; et le jeune homme, entraînant madame de
Grandfroy à une causeuse, se coucha devant elle.
--Vous me pardonnez donc, lui dit Clotilde d'un ton bas en enroulant
son bras au cou de Maurice, dont le manteau
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