La belle Gabrielle, vol. 1 | Page 7

Auguste Maquet
clapier, un pain rond et un faisceau de boudins et de saucisses. Castillon ne portait qu'une dame-jeanne; mais elle suffisait �� la vigueur d'un seul homme.
La joie g��n��rale se changea en admiration, quand, Pontis abaissant son plat �� la hauteur du vulgaire, on d��couvrit qu'il contenait un pat�� de hachis, bouillant encore dans un jus solide et g��n��reux.
L'escouade s'attroupa, se groupa; les uns eurent les canards et le lapin qu'ils se mirent �� pr��parer; les autres, plus heureux, s'attabl��rent imm��diatement, c'est-��-dire qu'on fit sur l'herbe une belle place nette, qu'on en marqua le centre avec ce noble pat��, et que douze convives invit��s par le magnanime Pontis, re?urent la permission d'��taler sur des tranches de pain hom��riques une couche odorante de hachis.
Esp��rance regardait de loin, en souriant, ce festin et ces intr��pides mangeurs; il admirait aussi le roi de la f��te, Pontis, dont la physionomie radieuse ��clairait joyeusement tout le groupe, lorsque soudain on entendit comme un cri lointain. Ce cri fit dresser l'oreille �� Esp��rance et l'��tonna. Mais les convives l'entendirent �� peine, ��perdus qu'ils ��taient de faim et de bonheur.
--Tiens, on crie, dit Vernetel la bouche pleine.
--Oui, r��pliqua Pontis, ils se seront aper?us au chateau de la disparition de leur d?ner.
--Racontez-nous donc, Pontis, comment vous avez fait cette rafle? dit un des gardes en plumant les volailles.
--Cela me ferait perdre bien des bouch��es, dit le jeune Dauphinois. En deux mots, le voici: Nous avons poliment montr�� notre nez �� la porte et demand�� �� pr��senter nos hommages au ma?tre de la maison. Un bourru de concierge entr'ouvrant la grille, nous a dit qu'il n'y avait personne. Nous avons insist��, nous d��clarant gentilshommes et gardes de Sa Majest��. Le butor a r��pliqu�� qu'il n'y avait ni Majest��, ni gardes en France, et qu'il n'y avait qu'une tr��ve.
--Des ligueurs! des Espagnols! s'��cri��rent tous les convives.
--C'est ce que nous nous sommes dit tout de suite, ajouta Pontis qui profita de l'indignation g��n��rale pour remplir �� la fois sa bouche et sa tartine. Alors j'ai pass�� ma jambe entre les portes de la grille, ce qui a emp��ch�� le ligueur de la fermer; puis, je suis entr��; ces deux messieurs m'ont suivi. Il y avait dans la cuisine des parfums �� faire ��vanouir saint Antoine. Puisqu'il n'y a personne au chateau, ai-je dit, voil�� un d?ner qui sera perdu. Aussit?t j'ai allong�� les mains vers ces volailles que venait d'apporter la fermi��re. Le concierge a cri��, deux valets sont accourus, de l�� des broches et des lardoires. Nous autres gentilshommes, nous n'avons pas tir�� l'��p��e, non, mais j'ai avis�� dans l'atre des tisons ardents sur lesquels je me suis jet�� et que j'ai lanc��s sur cette canaille. ��blouis par une pluie de feu, ils ont battu en retraite. Alors j'ai saisi le plat que voici, jet�� �� mon cou ce Saint-Esprit de ma fa?on. Vernetel et Castillon n'osaient seulement bouger tant l'admiration les paralysait; j'ai indiqu�� �� l'un cette amphore, �� l'autre ce lapin, nous avons fait retraite en triangle sans ��tre inqui��t��s, et nous voici.
Pontis fut congratul�� par un tonnerre d'applaudissements auxquels Esp��rance, toujours assis �� la m��me place, m��la ses plus francs ��clats de rire.
Tout �� coup les cris devinrent plus vifs et se rapproch��rent. Sans doute ils avaient ��t�� intercept��s pendant quelques secondes par la convexit�� du monticule. Ces cris ��taient pouss��s par un homme qu'on vit appara?tre brusquement �� l'entr��e du quartier des gardes.
Essouffl��, gesticulant avec ��nergie, les yeux troubl��s par la col��re, il attira d'abord l'attention de tous les spectateurs.
--C'est quelqu'un du chateau que nous avons d?m��, murmura Vernetel �� l'oreille de Pontis.
Celui-ci interrompit son repas. Les autres gardes s'interrompirent ��galement dans leurs pr��parations culinaires. On en vit cacher derri��re leur manteau la volaille aux trois quarts plum��e.
Esp��rance, comme tout le monde, fut frapp�� de l'alt��ration empreinte sur les traits du nouveau venu, dont le visage jeune et caract��ris�� s'��tait contract�� jusqu'�� la laideur. Ses cheveux, plut?t roux que blonds, se h��rissaient. Un frisson de fureur courait sur ses l��vres minces et pales.
C'��tait un homme de vingt-deux ans �� peine, svelte et grand. Ses formes fines et nerveuses annon?aient une nature distingu��e, rompue aux violents exercices. Dans son pourpoint vert, de forme un peu surann��e, d'��toffe quasi grossi��re, il conservait des fa?ons nobles et d��lib��r��es. Mais le couteau, trop long pour la table; trop court pour la chasse, qui brillait sans gaine dans sa main tremblante, r��v��lait une de ces indomptables fureurs qui veulent s'��teindre dans le sang.
Ce jeune homme avait gravi si rapidement la colline qu'il faillit suffoquer et put �� peine articuler ces mots: "O�� sont les chefs!"
Un garde, qui essaya d'arr��ter le furieux en lui opposant le rempart d'une pique, fut presque renvers��.
Un enseigne, accouru au bruit, s'interposa en voyant bousculer son factionnaire.
--Plaisantez-vous, ma?tre, s'��cria-t-il, d'entrer ainsi le couteau �� la main chez les
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