les conseils de ménagement et de prudence.
S'il importe peu que Voltaire, trente ans plus tard, ait déprécié le livre
de Grimarest, en se contentant toutefois de l'abréger, on ne peut taire
que Boileau-Despréaux ne l'approuva pas lorsqu'il parut. Ce grand
témoin, même incomparable, du génie de Molière, qu'il avait confessé
plus hautement que personne, se prévalant de ce que Grimarest n'avait
pas connu l'homme, contesta la vérité des détails biographiques, sans en
infirmer ni rectifier aucun. Représentant des vieilles moeurs, janséniste
et quelque peu septuagénaire, il devait juger puérile, condamnable
même, cette singulière curiosité pour des faits et gestes de nature, en
somme, à diminuer les idées de gravité et de respect. On n'est jamais
que de son temps.
La mode a été, de nos jours, de rabaisser Grimarest et de déconsidérer
son livre, comme insuffisant, par rapport aux recherches de documents
originaux, inaugurées par Beffara, qui ont rendu possible un
renouvellement de l'histoire de Molière, en fournissant de nouveaux
points d'appui à ses futurs biographes. Cette inquisition de pièces d'état
civil, d'archives, et d'actes notariés s'est produite, comme l'oeuvre de
notre auteur, et se poursuit en temps favorable[2]. Si, par impossible,
celui-ci en avait eu l'idée, avec le pouvoir de s'y livrer, et de la faire
aboutir sur quelques points, il n'en eût tiré que peu de profit, et
d'honneur, encore moins. On le trouverait plus exact sur un petit
nombre de noms et de dates, mais pas plus qu'aucun autre écrivain, en
1705, il n'eût songé à tirer des conséquences, plus ou moins légitimes, à
la moderne, de l'éducation si complète de Molière, de ses longues
caravanes dramatiques dans les provinces, de l'inventaire après décès
de son mobilier, et de ceux de ses ascendants ou descendants.
Il s'agit aujourd'hui, ce semble, de déterminer les éléments complexes
dont se forma le génie du poëte comique. Pour Grimarest, la situation
était tout autre, sinon plus simple. Ses contemporains s'inquiétaient
surtout d'un Molière qui ne démentît pas dans sa vie les idées de dignité,
de noblesse d'âme, de bonté, de parfait bon sens qu'il leur inspirait par
la lecture et la représentation de ses oeuvres. Ce Molière imaginé, ce
Molière souhaité, avait été, par bonheur, le Molière réel, et Grimarest le
leur donna conforme à la vérité, comme à leurs voeux. Il le leur donna
sincèrement, en toute bonne foi, car les mémoires que lui fournit Baron
exceptés, son livre n'est rien de plus qu'une enquête suivie, longue,
minutieuse, sur les Actes de Molière, à la pluralité des voix.
Le nombre et la qualité des témoignages, c'est toute la critique du
biographe; lui-même en convient, et ses aveux se réitèrent dans sa lettre,
retrouvée, au président de Lamoignon, à propos d'une anecdote qui
avait circulé sur quelques mots adressés par Molière au public, après
l'interdiction de la seconde représentation du Tartufe[3]: «Messieurs,
nous comptions avoir l'honneur de vous donner la seconde
représentation du Tartufe, mais M. le Président ne veut pas qu'on le
joue.» Telle était, dans sa forme indécente, l'allocution arrangée par des
esprits frondeurs, et que Grimarest avait rejetée de premier mouvement.
Néanmoins, comme on le va voir, il ne se put mettre la conscience en
repos qu'après en avoir «approfondi la fausseté», et interrogé à ce
propos plus de vingt témoins. Voici cette pièce justificative de son
honnêteté; elle est essentielle à toute nouvelle édition de son livre[4]:
A Monsieur le Premier Président de Lamoignon.
«MONSEIGNEUR,
»Je me donne l'honneur de vous envoyer l'article de la Vie de Molière,
qui regarde le Tartuffe, sur ce que M. de Fontenelle m'a dit que vous
doutiez de la discrétion et du respect que je devois avoir en rapportant
ce fait. Vous n'ignorez pas, Monseigneur, tous les mauvais contes que
l'on a faits sur cet endroit de la vie de Molière. J'en ai approfondi la
fausseté avec soin; mais plus de vingt personnes m'ont assuré que la
chose se passa à peu près comme je l'ai rendue, et j'ai cru qu'elle étoit
d'autant plus véritable que dans le Menagiana, imprimé avec privilége
en 1693, on a fait dire à M. Ménage, en parlant du Tartuffe: «Je dis à
M. le Premier Président de Lamoignon, lorsqu'il empêcha qu'on ne le
jouât, que c'étoit une pièce dont la morale étoit excellente, et qu'il n'y
avoit rien qui ne pût être utile au public.» Vous voyez, Monseigneur,
que j'ai supprimé ce nom illustre de mon ouvrage, et que j'ai eu
l'attention de donner de la prudence et de la justice à sa défense du
Tartuffe, par mes expressions. M. de Fontenelle qui a la même
attention que moi pour tout ce qui vous regarde, Monseigneur, a jugé
que j'avois bien manié cet endroit, puisqu'il a approuvé mon livre, qui
est presque imprimé. Cependant, si vous jugez que je n'aye pas réussi
ayez la bonté de
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