de la Colombie. Deux prisonniers
étaient restés entre leurs mains, un sachem et Ouaskèma, la
Belle-aux-cheveux-noirs. Le premier était mort en brave. Ouaskèma,
fille de Tanastic, chef fameux, parmi les Clallomes, attendait fièrement
le même sort, sachant bien que sa beauté, sa jeunesse et son rang étaient
plutôt faits pour exaspérer que pour toucher ses ravisseurs.
Le jeesukaïn chinouk, entre les mains de qui elle était tombée, avait
résolu de la brûler vive, pour se rendre propice à Scoucoumé, l'Esprit
du Mal.
Dès que les Indiens eurent cessé leurs chants et leurs danses, il ordonna
de préparer un bûcher.
Mais alors le métis lui dit:
Mon frère veut-il me céder cette squaw?
Le jeesukaïn, qui pétunait gravement, les regards tournés vers le soleil
couchant, ne répliqua point et le Dompteur-de-Buffles reprit:
--Si mon frère veut me livrer cette squaw, il recevra de moi en échange
deux fois vingt tiacomoshaks [3], trois fois trois couvertes de peaux de
cygne, un cornet de poudre et la grande hache dont les Kingors [4]
m'ont fait présent.
[Note 3: Pour calculer, les Indiens de la Colombie font usage du
système binaire. La tiacomoshak est use coquille bleu qui sert de
monnaie. Sa valeur est proportionnée à sa longueur. On la pêche près
du rio Columbia.]
[Note 4: Corruption de King Georges. Les Indiens nomment ainsi; les
Anglais; les Américains, Boston ou Longs-Couteaux; les Canadiens,
Franse ou Pasayouk.]
Le sorcier ne parut pas avoir entendu.
--J'ajouterai, dit Bois-Brûlé, une chaudière en fer et une pièce de drap
rouge.
--Le bûcher est-il prêt? demanda le devin aux Indiens.
--Il est prêt, répondirent-ils.
--Si mon frère m'abandonne cette squaw, je lui laisserai encore l'usage
de ma belle carabine pour deux neiges, insista le chef.
A cette nouvelle proposition, l'oeil du jeesukaïn s'alluma. Mais l'éclair
s'éteignit aussitôt sous le voile de ses paupières.
--Scoucoumé désire la vierge clallome; qu'on mette le feu au bûcher,
dit-il.
Alors le métis se leva, et faisant signe aux hommes de suspendre les
préparatifs du sacrifice, il s'approcha du magicien et lui dit:
--Que mon frère, le sage jeesukaïn m'entende! Qu'il dise ce qu'il veut
pour la femme clallome. Mes oreilles sont ouvertes.
--Chinamus, grand medawin des Chinouks, veut immoler cette vierge à
Scoucoumé. Ne l'arrête pas davantage, ou redoute le courroux du
Mauvais Esprit.
Les sourcils du Dompteur-de-Buffles se rapprochèrent. Il ne put
maîtriser un mouvement de colère.
Ouaskèma, la Belle-aux-cheveux-noirs, semblait tout à fait indifférente
à ce débat qui avait rassemblé les Chinooks autour de leurs chefs.
--Et si je te donnais cette carabine, plus deux fois deux livres de plomb?
demanda le Bois-Brûlé.
--Ce ne serait pas assez.
--Que te faudrait-il donc?
--Ce que mon frère ne voudrait pas me donner, repartit le magicien d'un
ton lent et en étudiant la physionomie de son interlocuteur.
--Chinamus, je t'ai dit que mes oreilles étaient ouvertes, mon esprit l'est
aussi. Parle.
--Tu promets de m'accorder ce que je te demanderai, en échange de
cette squaw?
--Si je l'ai, oui; quand ce serait la plus belle de mes femmes.
Tu l'as; mais ce n'est pas la plus belle de tes femmes. Ce que je veux,
Pasayouk... c'est le Tonnerre!
--Le Tonnerre s'écria le sachem avec un dédain mal déguisé; ah! c'est le
Tonnerre que tu veux, et tu crois que je le troquerais contre une squaw!
Une bête que j'ai élevée moi-même, qui devance le vent, qui met en
fuite nos ennemis, que nul autre que moi ne peut monter! Ah! tu
voudrais le Tonnerre! Non, jeesukaïn, tu ne l'auras pas!
--Mon frère est libre de garder le Tonnerre, mais moi je suis libre aussi
de brûler la vierge clallome répondit, froidement Chinamus.
--Elle doit être brûlée, clamèrent quelques Indiens en s'avançant vers la
captive avec des torches enflammées.
Le métis frappa violemment le sol de son mocassin.
--Je casse la tête à qui la touche! fit-il avec emportement.
Et se ravisant, il dit, d'un ton plus doux, au sorcier:
--Eh bien, mon frère, si tu y consens, je te joue mon Tonnerre contre ta
captive.
--Ton Tonnerre, la carabine et tout ce que tu avais promis auparavant,
dit Chinamus avec une expression de cupidité qui se refléta sur son
visage.
--Tout cela.
--Jouons.
--Au beullome?
--Au beullome.
A l'état primitif, autant sinon plus qu'à l'état civilisé, l'homme est
impatient d'interroger l'avenir. C'est peut-être la raison pour laquelle les
peuples sauvages apportent aux jeux de hasard un amour qui va jusqu'à
la frénésie. Ils y oublient la faim, la soif et le sommeil. Dès qu'une
partie est engagée, elle peut se prolonger pendant des journées et des
nuits entières sans que les intéressés et même les spectateurs
s'aperçoivent de la fuite du temps. Aussi, peine le mot beullome eut-il
été prononcé, que les Chinouks se rangèrent de chaque côté des deux
adversaires.
Ceux-ci taillèrent dix petits
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