La San-Felice | Page 5

Alexandre Dumas, père
priait, en conséquence, de lui donner le mot d'ordre, afin de pouvoir rentrer au chateau quand le but de cette course serait rempli.
Mejean répondit que Salvato, militaire, devait conna?tre mieux que personne la rigidité des règlements militaires; qu'il lui était impossible de confier à qui que ce f?t un mot d'ordre qui, tombé dans une oreille infidèle, pouvait compromettre la s?reté du fort; mais, devinant pourquoi Salvato demandait à quitter momentanément le fort, il ajouta qu'il pouvait faire accompagner Salvato d'un de ses officiers, ou, s'il préférait sa compagnie, l'accompagner lui-même.
Salvato répondit que la compagnie du colonel Mejean lui était on ne peut plus agréable, et que, si le colonel Mejean était libre, cette course aurait lieu la nuit même.
La chose était impossible, le lieutenant-colonel auquel la garde du chateau devait être confiée ne devant revenir que dans la journée du surlendemain.
Le colonel ajouta fort galamment, au reste, que, si c'était pour le payement des vingt mille francs, il pouvait, ayant un gage vivant entre les mains, et la moitié du prix convenu étant donnée d'avance, il pouvait attendre quelques jours.
Salvato répondit que les bons comptes faisaient les bons amis, et que plus t?t il pourrait donner au colonel les vingt-mille francs restants, mieux vaudrait pour tous deux.
La vérité était que le colonel Mejean avait réservé la prochaine nuit à un négociation personnelle.
Il voulait tenter auprès du cardinal Ruffo une seconde ouverture, et, en conséquence, lui avait fait demander un sauf-conduit pour un de ses officiers, chargé de nouvelles propositions pour la reddition du fort.
Cet officier, c'était lui-même.
On ne nous accusera point de ménager nos compatriotes. Il s'est trouvé, du commissaire Feypoult au colonel Mejean, dans toute cette affaire de la conquête de Naples, quelques misérables comme les bureaux en dégorgent toujours à la suite des armées; et, de même que nous avons glorifié ceux qui avaient droit à la gloire, il faut que nous jetions la honte à la face de ceux qui n'ont droit qu'à la honte.
Le devoir du cardinal Ruffo était d'accueillir toutes les ouvertures ayant pour but de ménager l'effusion du sang. Il envoya donc, à l'heure convenue, c'est-à-dire à dix heures du soir, le marquis Malaspina, porteur du sauf-conduit, et lui donna une escorte de dix hommes pour le faire respecter.
Le colonel Mejean revêtit un habit bourgeois, se donna à lui-même pleins pouvoirs pour traiter, et, sous le titre de secrétaire du commandant du fort, suivit le marquis Malaspina et ses dix hommes.
A onze heures, après être descendu par l'Infrascata, la rue Floria et la route de l'Arenaccia, jusqu'au pont de la Madeleine, le faux secrétaire arrivait à la maison du cardinal et était introduit près de Son éminence.
Cette entrevue avait lieu--forcé que nous sommes de revenir en arrière par les divers embranchements des nombreux épisodes de notre histoire--dans la nuit du 27 au 28 juin, avant que la cardinal conn?t le manque de foi de Nelson, mais quand, au contraire, ayant re?u dans la journée, des capitaines Troubridge et Ball, l'assurance que l'amiral ne s'opposait point à l'embarquement, il croyait encore à la fidèle observance des traités.
Seulement, nous l'avons dit, le colonel Mejean avait déjà fait une première tentative auprès du cardinal, tentative qui avait été repoussée par cette simple réponse: ?Je fais la guerre avec du fer et non avec de l'or!?
Le cardinal Ruffo, déjà prévenu contre Mejean, fit donc médiocre visage à son secrétaire, ou plut?t, sans s'en douter, à lui-même:
--Eh bien, monsieur, lui dit-il, êtes-vous chargé de me faire de vive voix des propositions, je ne dirai pas plus raisonnables, mais plus militaires que celles qui m'avaient été faites par écrit, et auxquelles vous connaissez sans doute ma réponse?
Mejean se mordit les lèvres.
--Mes propositions, c'est-à-dire celles du colonel Mejean, que j'ai l'honneur de représenter près de Votre éminence, dit-il, ont deux faces: l'une spécifique, et par laquelle l'humanité m'ordonne de débuter; l'autre militaire, à laquelle le colonel ne recourra qu'à la dernière extrémité, mais à laquelle il recourra si Votre éminence l'y force.
--J'écoute, monsieur.
--Mes collègues, ou plut?t les collègues du colonel Mejean, le commandant Massa et le commandant L'Aurora, ont traité et ont fait et obtenu les conditions que des rebelles pouvaient faire et doivent être trop contents d'avoir obtenues. Mais il n'en est point ainsi du colonel Mejean: ce n'est point un rebelle, c'est un ennemi, et un ennemi puissant, puisqu'il représente la France. S'il traite, il a donc droit à une meilleure capitulation que celle de MM. L'Aurora et Massa.
--C'est trop juste, répondit le cardinal, et voici celle que j'offre: Les Fran?ais sortiront du fort Saint-Elme tambours battants, mèche allumée, avec tous les honneurs de la guerre, et se réuniront à leurs compatriotes, encore en garnison à Capoue et à Gaete, sans aucun engagement qui encha?ne leur libre arbitre.
--Je ne vois pas là une grande amélioration sur le traité
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