au gouvernail, et il touchait.
Par malheur, en appuyant à babord, le batiment se trouva dans la ligne du vent, sans aucun obstacle pour le briser. Une rafale effroyable s'abattit sur le vaisseau, qui, pour la seconde fois, s'inclina sur tribord, si bien que l'extrémité de ses grandes vergues effleura le sommet argenté d'une vague. En même temps, les mats plièrent en gémissant et, comme ils n'étaient pas soutenus par les basses voiles, les trois mats de perroquet se brisèrent avec un bruit terrible.
--Des hommes dans les hunes avec des couteaux! cria Nelson. Coupez et jetez à la mer!
Une douzaine de matelots, pour obéir à cet ordre, se précipitèrent sur les haubans, qu'ils escaladèrent malgré leur inclinaison avec l'agilité d'une bande de quadrumanes, et, une fois arrivés au lieu de l'avarie, ils se mirent à tailler avec un tel acharnement, qu'au bout de quelques minutes, voiles, vergues et matereaux, tout était à la mer.
Le vaisseau se redressa lentement; mais, au moment où il se redressait, un énorme paquet de mer entra dans la civadière, qui, ne pouvant porter un pareil poids, brisa sa vergue avec un craquement qui e?t pu faire croire que le batiment s'entr'ouvrait.
Cette fois encore, il venait d'échapper miraculeusement au naufrage. Les marins reprirent haleine et regardèrent autour d'eux, comme des hommes qui reviennent à la vie après un évanouissement.
Au même instant, une voix de femme se fit entendre, criant:
--Milord, au nom du ciel, descendez près de nous!
Nelson reconnut la voix d'Emma Lyonna appelant à l'aide. Il jeta un regard anxieux autour de lui. A l'arrière, il avait Stromboli fumant et grondant; à tribord et à babord, l'immensité; à l'avant, une nappe d'eau qui s'étendait jusqu'aux c?tes de Calabre, et sur laquelle le vaisseau, majestueusement sorti des écueils, tanguait mutilé, mais vainqueur.
Nelson donna l'ordre d'abaisser les petits huniers et de naviguer grand largue avec les huniers, la misaine, le clin-foc et le petit foc.
Puis, ayant remis à Henry le porte-voix, c'est-à-dire le signe du commandement, il se hata de descendre l'escalier de la dunette, au bas duquel il trouva Emma Lyonna.
--Oh! mon ami, dit-elle, venez, venez vite! Le roi est fou de terreur, la reine est évanouie, et le jeune prince est mort!
Nelson entra. Le roi, en effet, était à genoux, la tête enfoncée dans les coussins d'un fauteuil, et la reine était renversée sur un divan, tenant entre ses bras le cadavre de son fils!
CII
OU LE ROI RECOUVRE ENFIN L'APPéTIT.
Les scènes qui s'étaient passées sur le pont et que nous avons essayé de décrire, avaient eu, comme on le comprend bien, leur contre-partie dans la grande salle. Le mouvement extraordinaire du vaisseau, le sifflement de la tempête, les éclats du tonnerre, les manoeuvres précipitées, les demandes de Nelson, les réponses de Henry, rien n'avait été perdu pour les illustres fugitifs. Mais c'était surtout au moment où, sortant des récifs, le vaisseau avait re?u, par le travers, le terrible coup de vent qui l'avait courbé sous lui, que le roi, la reine et Emma Lyonna elle-même avaient cru leur dernière heure arrivée. L'inclinaison du Van-Guard avait été telle, en effet, que les boulets s'étaient échappés de leurs cases, installées dans les intervalles des canons, et, roulant sur la pente du vaisseau avec un bruit terrible, avaient imprimé, par ce tonnerre intérieur dont on ne pouvait pas se rendre compte, une suprême terreur aux passagers.
Quant au pauvre petit prince, nous avons vu ce qu'il avait souffert pendant la traversée. Le mal de mer était arrivé chez lui à son paroxysme. A chaque mouvement violent du vaisseau, il était saisi d'effroyables convulsions, d'autant plus douloureuses, que, depuis le matin, il refusait de rien prendre, même de la main d'Emma, quoique ce f?t sur ses genoux qu'il se t?nt constamment, ne mangeant rien depuis deux jours, passant successivement des vomissements aux convulsions et des convulsions aux vomissements. Il avait, lors de l'inclinaison du Van-Guard, éprouvé une si forte secousse et ressenti une si grande terreur, qu'un vaisseau s'était brisé dans sa poitrine, que le sang s'était échappé de sa bouche et qu'après une courte agonie, il avait rendu le dernier soupir sur le sein d'Emma.
L'enfant était si faible, et le passage de la vie à la mort avait été si facile chez lui, qu'Emma, tout en s'effrayant de cette émission de sang et des mouvements convulsifs qui l'avaient suivie, avait pris son immobilité pour le repos qui suit une crise et que ce n'était qu'au bout de quelques instants que, reconnaissant la véritable cause de cette immobilité, elle s'était, dans un mouvement de suprême effroi, écriée sans ménagement aucun, soit qu'elle conn?t la philosophie de la reine, soit que sa terreur dédaignat les ménagements:
--Grand Dieu, madame, le prince est mort!
Ce cri, parti du fond des entrailles d'Emma, avait produit un effet bien opposé chez Caroline et chez Ferdinand.
La reine avait répondu:
--Pauvre
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