grand sacrifice qu'il ignorait.
Il prit sa main et la porta à ses lèvres. Luisa rouvrit les yeux, et,
souriant à son mari à travers les larmes:
--Que vous êtes bon, mon ami, lui dit-elle, et que je vous aime!
Le chevalier passa un bras autour de son cou, appuya la tête de Luisa
contre sa poitrine, et, relevant le capuchon de la mante de satin qui les
couvrait, il baisa ses cheveux d'une lèvre frémissante et plus que
paternelle cette fois.
Luisa ne put retenir un gémissement.
Le chevalier fit semblant de ne pas l'entendre.
On arriva à la descente de la Vittoria.
Une barque, montée de six rameurs, attendait, se maintenant à
grand'peine contre les vagues qui la poussaient vers la plage.
A peine les rameurs eurent-ils vu la voiture s'arrêter, que, comprenant
que ceux qu'ils attendaient étaient dedans, ils crièrent:
--Faites vite! la mer est mauvaise; à peine sommes-nous maîtres de la
barque.
Et, en effet, San-Felice n'eut qu'à jeter un coup d'oeil sur l'embarcation
pour voir qu'elle et ceux qui la montaient étaient en danger de
perdition.
Le chevalier dit un mot tout bas au cocher, un mot tout bas à Michele,
prit Luisa par le bras et descendit avec elle jusqu'à la plage.
Avant qu'ils fussent arrivés au bord de la mer, une vague, en se brisant
sur le sable, les avait couverts d'écume.
Luisa jeta un cri.
Le chevalier la prit entre ses bras et la pressa contre son coeur.
Puis, appelant Michele d'un signe:
--Attends, dit-il à Luisa; je descends dans la barque, et, une fois
descendu, Michele et moi, nous t'aiderons à descendre à ton tour.
Luisa en était à ce point de la douleur qui précède le complet
anéantissement des forces et qui laisse à peine à la volonté la faculté de
s'exprimer. Elle passa donc, presque sans s'en apercevoir, des bras du
chevalier dans ceux de son frère de lait.
Le chevalier s'approcha résolument de la barque, et, au moment où, à
l'aide d'une gaffe, deux hommes la maintenaient, sinon immobile, du
moins proche du rivage, il sauta dans l'embarcation en criant:
--Au large!
--Et la petite dame? demanda le patron.
--Elle reste, dit San-Felice.
--Le fait est, répliqua le patron, que ce n'est pas là un temps à
embarquer des femmes. Nagez, mes garçons! nagez d'ensemble, et
vivement!
En une seconde, la barque fut à dix brasses du rivage.
Tout cela s'était passé si rapidement, que Luisa n'avait pas eu le temps
de deviner la résolution de son mari, et, par conséquent, de la
combattre.
En voyant la barque s'éloigner, elle jeta un cri:
--Et moi! et moi! dit-elle en essayant de s'arracher des bras de Michele
pour suivre son mari, et moi! vous m'abandonnez donc?
--Que dirait ton père, à qui j'ai promis de veiller sur toi, en me voyant
t'exposer à un pareil danger? répondit San-Felice en haussant la voix.
--Mais je ne puis rester à Naples! cria Luisa en se tordant les bras; je
veux partir, je veux vous suivre! A moi, Luciano! si je reste, je suis
perdue!
Le chevalier était déjà loin; une rafale de vent apporta ces mots:
--Michele, je te la confie!
--Non, non, cria Luisa désespérée; à personne qu'à toi, Luciano! Tu ne
sais donc pas! je l'aime!
Et, en jetant au chevalier ces derniers mots, dans lesquels Luisa avait
mis tout ce qui lui restait de force, son âme sembla l'abandonner.
Elle s'évanouit.
--Luisa! Luisa! fit Michele en essayant vainement de rappeler sa soeur
de lait à la vie.
--Anankè! murmura une voix derrière Michele.
Le lazzarone se retourna.
Une femme était debout derrière eux, et, à la lueur d'un éclair, il
reconnut l'Albanaise Nanno, qui, voyant le chevalier parti pour la Sicile
et Luisa rester à Naples, prononçait en grec le mot mystérieux et
terrible que nous avons donné pour titre à ce chapitre: FATALITÉ.
Au même moment, la barque qui emportait le chevalier disparaissait
derrière la sombre et massive construction du château de l'Oeuf.
LXXVIII
JUSTICE DE DIEU.
Le 22 décembre au matin, c'est-à-dire le lendemain du jour et de la nuit
où s'étaient accomplis les événements que nous venons de raconter, des
groupes nombreux stationnaient dès le point du jour devant des affiches
aux armes royales apposées pendant la nuit sur les murailles de Naples.
Ces affiches renfermaient un édit déclarant que le prince de Pignatelli
était nommé vicaire du royaume, et Mack lieutenant général.
Le roi promettait de revenir de la Sicile avec de puissants secours.
La vérité terrible était donc enfin révélée aux Napolitains. Toujours
lâche, le roi abandonnait son peuple, comme il avait abandonné son
armée. Seulement, cette fois, en fuyant, il dépouillait la capitale de tous
les chefs-d'oeuvre recueillis depuis un siècle, et de tout l'argent qu'il
avait trouvé dans les caisses.
Alors, ce peuple désespéré
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