--Vous l'entendez! hurla le beccaïo, il appelle des jacobins des honnêtes
gens!
--Tais-toi, misérable! Cet homme n'était pas un jacobin, tu le sais bien:
c'était Antonio Ferrari, le courrier du roi et l'un des plus résolus
serviteurs de Sa Majesté. Et, si vous ne me croyez pas, demandez au
chevalier. Chevalier, dites à ces hommes qui ne sont point méchants,
mais qui ont le malheur de suivre un méchant, dites-leur ce qu'était le
pauvre Antonio.
--Mes amis, dit le chevalier, Antonio Ferrari, qui vient d'être tué, a, en
effet, été victime de quelque erreur fatale; car c'était un des serviteurs
dévoués de votre bon roi, qui pleure en ce moment sa mort.
La foule écoutait avec stupéfaction.
--Ose dire maintenant que cette tête n'est pas celle de Ferrari et que
Ferrari n'était pas un honnête homme! Dis-le! mais dis-le donc, que
j'aie l'occasion de te couper l'autre moitié du visage!
Et Michele leva son sabre sur le beccaïo.
--Grâce! dit celui-ci en tombant à genoux: je dirai tout ce que tu
voudras.
--Et moi, je ne dirai qu'une chose, c'est que tu es un lâche! Va-t'en, et,
quand tu te trouveras sur mon chemin, vingt pas à l'avance, à droite ou
à gauche, aie soin de te déranger.
Le beccaïo se retira au milieu des huées de cette foule qui, un instant
auparavant, l'applaudissait, et gui se divisa en deux bandes: l'une suivit
le beccaïo en l'injuriant; l'autre suivit Michele et le chevalier en criant:
--Vive Michele! Vive le chevalier San-Felice! Michele resta à la porte
du jardin pour congédier son escorte; le chevalier rentra chez lui, et,
comme nous l'avons dit, appela Luisa.
Nous venons de raconter ce qu'il avait vu des fenêtres de la
bibliothèque et ce qui lui était arrivé à la descente du Géant: deux
choses suffisantes, à notre avis, pour motiver sa pâleur.
A peine eut-il dit à Luisa le motif qui le ramenait, qu'elle devint à son
tour plus pâle que lui; mais elle ne répliqua point une parole, ne fit
point une observation; seulement:
--A quelle heure le départ? demanda-t-elle.
--Entre dix heures et minuit, répondit le chevalier.
--Je serai prête, dit-elle; ne vous inquiétez pas de moi, mon ami.
Et elle se retira dans sa chambre, sous prétexte de faire ses préparatifs
de départ, en donnant l'ordre que le dîner fût, comme d'habitude, servi à
trois heures.
LXXVII
FATALITÉ.
Ce n'était point dans sa chambre que s'était retirée Luisa; c'était dans
celle de Salvato.
Dans la lutte entre le devoir et l'amour, le premier avait vaincu; mais,
ayant sacrifié son amour au devoir, elle se croyait par cela même le
droit de donner des larmes à son amour.
Aussi, depuis le jour où Luisa avait dit à son mari: «Je partirai avec
vous,» elle avait beaucoup pleuré.
Ne sachant comment faire tenir ses lettres à Salvato, elle ne lui avait
point écrit; mais elle avait reçu deux nouvelles lettres de lui.
Cet amour si ardent, cette joie si profonde qu'elle trouvait à chaque
ligne dans les lettres du jeune homme lui brisait le coeur, lorsqu'elle
songeait surtout à quel amer désappointement Salvato serait en proie
quand, plein d'espérance et de sécurité, croyant trouver la fenêtre
ouverte et Luisa dans la chambre où elle pleurait si douloureusement à
cette heure, il trouverait Luisa absente et la fenêtre fermée.
Et pourtant, elle ne se repentait point de ce qu'elle avait promis ou
plutôt offert: elle eût eu le choix, maintenant que l'heure du départ était
arrivée, qu'elle eût agi comme elle avait fait.
Elle appela Giovannina.
Celle-ci accourut. Elle avait vu Michele à la cuisine et se doutait qu'il
arrivait quelque chose d'extraordinaire.
--Nina, lui dit sa maîtresse, nous quittons Naples cette nuit. C'est vous
que je charge du soin de réunir et de mettre dans des caisses les objets
de mon usage habituel. Vous les connaissez aussi bien que moi, n'est-ce
pas?
--Sans doute, je les connais, répondit la femme de chambre, et je ferai
ce que madame m'ordonne; mais j'ai besoin que madame ait la bonté de
m'éclairer sur un point.
--Lequel? Dites Nina, répliqua la San-Felice, un peu étonnée de la
fermeté progressive avec laquelle la femme de chambre avait répondu à
l'ordre qu'elle lui donnait.
--Mais sur ces paroles: «Nous quittons Naples;» madame a dit cela, je
crois?
--Sans doute, je l'ai dit.
--Est-ce que madame comptait m'emmener avec elle?
--Si vous eussiez voulu, oui; mais, pour peu que la chose vous
déplaise...
Nina vit qu'elle avait été trop loin.
--Si je ne dépendais que de moi, ce serait avec le plus grand plaisir que
je suivrais madame jusqu'au bout du monde, dit-elle; mais, par malheur,
j'ai une famille.
--Ce n'est jamais un malheur d'avoir une famille mon enfant, dit Luisa
avec une suprême douceur.
--Excusez-moi, madame, si je dis un peu
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.