se rendissent compte de leur pouvoir, des êtres
privilégiés qui avaient la faculté de se mettre en rapport avec les
esprits?
--J'ai entendu quelquefois le chevalier San-Felice raisonner de cela
avec des savants et des philosophes allemands, qui donnaient ces
communications entre les habitants de ce monde et ceux d'un monde
supérieur comme des preuves en faveur de l'immortalité de l'âme; ils
nommaient ces individus des voyants, ces intermédiaires des médiums.
--Ce qu'il y a d'admirable en vous, dit Salvato, c'est que, sans que vous
vous en doutiez, Luisa, sous la grâce de la femme, vous avez
l'éducation d'un érudit et la science d'un philosophe; il en résulte
qu'avec vous, on peut parler de toutes choses, même des choses
surnaturelles.
--Alors, fit Luisa très-émue, vous croyez que cette nuit...?
--Je crois que, cette nuit, si ce n'est point vous qui êtes entrée dans ma
chambre et qui vous êtes penchée sur mon lit, je crois que j'ai été visité
par ma mère.
--Mais, mon ami, demanda Luisa frissonnante, comment vous
expliquez-vous l'apparition d'une âme séparée de son corps?
--Il y a des choses qui ne s'expliquent pas, Luisa, vous le savez bien.
Hamlet ne dit-il point, au moment où vient de lui apparaître l'ombre de
son père: There are more things in heaven and earth, Horatio, than
there are dreamt of in your philosophy?... Eh bien, Luisa, c'est d'un de
ces mystères que je vous parle.
--Mon ami, dit Luisa, savez-vous que parfois vous m'effrayez?
Le jeune homme lui serra la main et la regarda de son plus doux regard.
--Et comment puis-je vous effrayer, lui demanda-t-il, moi qui donnerais
pour vous la vie que vous m'avez sauvée? Dites-moi cela.
--C'est que, continua la jeune femme, vous me faites parfois l'effet de
n'être point un être de ce monde.
--Le fait est, répliqua Salvato en riant, que j'ai bien manqué d'en sortir
avant d'y être entré.
--Serait-il donc vrai, comme le disait la sorcière Nanno, demanda en
pâlissant la jeune femme, que vous fussiez né d'une morte?
--La sorcière vous a dit cela? demanda le jeune homme en se soulevant
étonné sur son lit.
--Oui; mais ce n'est pas possible, n'est-ce pas?
--La sorcière vous a dit la vérité, Luisa; c'est une histoire que je vous
raconterai un jour, mon amie.
--Oh! oui, et que j'écouterai avec toutes les fibres de mon coeur.
--Mais plus tard.
--Quand vous voudrez.
--- Aujourd'hui, continua le jeune homme en retombant sur son lit, ce
récit dépasserait mes forces; mais, comme je vous le dis, tiré
violemment du sein de ma mère, les premières palpitations de ma vie se
sont mêlées aux derniers tressaillements de sa mort, et un étrange lien a
continué, en dépit du tombeau, de nous attacher l'un à l'autre. Or, soit
hallucination d'un esprit surexcité, soit apparition réelle, soit qu'enfin,
dans certaines conditions anormales, les lois qui existent pour les autres
hommes n'existent pas pour ceux qui sont nés en dehors de ces lois, de
temps en temps,--j'ose à peine dire cela, tant la chose est
improbable!--de temps en temps, ma mère, sans doute parce qu'elle fut
en même temps sainte et martyre, de temps en temps, ma mère obtient
de Dieu la permission de me visiter.
--Que dites-vous là! murmura Luisa toute frissonnante.
--Je vous dis ce qui est, mais ce qui est pour moi n'est peut-être pas
pour vous, et cependant je n'ai pas vu seul cette chère apparition.
--Une autre que vous l'a vue? s'écria Luisa.
--Oui, une femme bien simple, une paysanne, incapable d'inventer une
semblable histoire: ma nourrice.
--Votre nourrice a vu l'ombre de votre mère?
--Oui; voulez-vous que je vous raconte cela? demanda le jeune homme
en souriant.
Pour toute réponse, Luisa saisit les deux mains du blessé et le regarda
avidement.
--Nous demeurions en France,--car, si ce n'est point en France que mes
yeux se sont ouverts, c'est là qu'ils ont commencé à voir;--nous
habitions au milieu d'une grande forêt; mon père m'avait donné une
nourrice d'un village distant d'une lieue et demie ou deux lieues de la
maison que nous habitions. Une après-midi, elle alla demander à mon
père la permission de faire une course pour voir son enfant, qu'on lui
avait dit être malade; c'était celui-là même qu'elle avait sevré pour me
donner sa place; non-seulement mon père le lui permit, mais encore il
voulut l'accompagner pour visiter son enfant avec elle; on me donna à
boire, on me coucha dans mon berceau, et, comme je ne me réveillais
jamais qu'à dix heures du soir, et que mon père, avec son cabriolet, ne
mettait qu'une heure et demie pour aller au village et revenir à la
maison, mon père ferma la porte, mit la clef dans sa poche, fit monter la
nourrice près de lui et partit tranquille.
»L'enfant n'avait qu'une légère indisposition;
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