La San-Felice, Tome II | Page 8

Alexandre Dumas, père
chiffon, décollé du portefeuille où il adhérait et rejeté en même temps que lui sur la table.
Dans son désir de lire la lettre du général Championnet, et dans sa satisfaction après l'avoir lue, elle l'avait oublié.
C'était une lettre écrite sur un élégant papier; elle était d'une écriture de femme, mince, fine, aristocratique; aux premiers mots, la reine reconnut une lettre d'amour.
Elle commen?ait par ces deux mots: Caro Nicolino.
Par malheur pour la curiosité de la reine, le sang avait presque entièrement envahi la page écrite; on pouvait seulement distinguer la date, qui était le 20 septembre, et lire les regrets ressentis par la personne qui écrivait la lettre de ne pouvoir venir à son rendez-vous accoutumé, obligée qu'elle était de suivre la reine, qui allait au-devant de l'amiral Nelson.
Il n'y avait pour toute signature qu'une lettre, une initiale, une E.
Pour cette fois, la reine s'y perdait complétement.
Une lettre de femme, une lettre d'amour, une lettre datée du 20 septembre, une lettre enfin d'une personne qui s'excusait de manquer son rendez-vous habituel parce qu'elle était obligée de suivre la reine, une pareille lettre ne pouvait être adressée à l'aide de camp de Championnet qui, le 20 septembre, c'est-à-dire trois jours auparavant, était à cinquante lieues de Naples.
Il n'y avait qu'une probabilité, et l'esprit intelligent de la reine la lui présenta bient?t.
Cette lettre se trouvait sans doute dans la poche de la houppelande prêtée à l'envoyé du général Championnet, par un de ses complices du palais de la reine Jeanne. L'aide de camp avait mis son portefeuille dans la même poche après l'avoir enlevé de son uniforme; le sang, en coulant de la blessure, avait collé la lettre au portefeuille, quoique cette lettre et ce portefeuille n'eussent rien de commun entre eux.
La reine se leva alors, alla au fauteuil où Pasquale avait déposé le manteau, examina ce manteau, et, en l'ouvrant, trouva le sabre et les pistolets qu'il renfermait.
Le manteau était évidemment un simple manteau d'ordonnance d'officier de cavalerie fran?aise.
Le sabre, comme le manteau, était d'ordonnance; il avait d? appartenir à l'inconnu; mais il n'en était pas de même des pistolets.
Les pistolets, très-élégants, étaient de la manufacture royale de Naples, montés en vermeil et portaient gravée sur un écusson la lettre N.
Un jour se faisait sur cette mystérieuse affaire. Sans aucun doute, les pistolets appartenaient à ce même Nicolino auquel la lettre était adressée.
La reine mit les pistolets à part avec la lettre, en attendant mieux; c'était un commencement d'indice qui pouvait conduire à la vérité.
En ce moment, de Simone rentrait avec ses deux hommes.
Les renseignements qu'ils apportaient étaient de peu de valeur.
Cinq ou six minutes après la sortie de l'aide de camp, ils avaient cru voir une barque montée par trois personnes s'éloigner comme si elle allait à la villa, profitant de la mer qui avait calmi.
Deux de ces personnes ramaient.
Il n'y avait point à s'occuper de cette barque; elle échappait naturellement à l'investigation des deux sbires, qui ne pouvaient la suivre sur l'eau.
Mais, presque au même moment, par compensation, trois autres personnes apparaissaient à la porte donnant sur la route du Pausilippe, et, après avoir regardé si la route était libre, se hasardaient à sortir en fermant avec soin cette porte derrière eux; seulement, au lieu de descendre la route du c?té de Mergellina, comme avait fait le jeune aide de camp ils la remontèrent du c?té de la villa de Lucullus.
Les deux sbires suivirent les trois inconnus.
Au bout de cent pas, à peu près, l'un de ces derniers gravit le talus à droite et se jeta dans un petit sentier où il disparut derrière les aloès et les cactus; celui-là devait être très-jeune, autant qu'on avait pu en juger par la légèreté avec laquelle il avait gravi les talus et par la fra?cheur de la voix avec laquelle il avait crié à ses deux amis:
--Au revoir!
Les autres avaient gravi le talus à leur tour, mais plus lentement, et par un sentier qui, en longeant la pente de la montagne et en revenant sur Naples, devait les conduire au Vomero.
Les sbires s'étaient engagés derrière eux dans le même sentier; mais, se voyant suivis, les deux inconnus s'étaient arrêtés, avaient tiré de leur ceinture, chacun une paire de pistolets, et, s'adressant à ceux qui les suivaient:
--Pas un pas de plus, avaient-ils dit, ou vous êtes morts!
Comme la menace était faite d'une voix qui ne laissait pas de doute sur son exécution, les deux sbires, qui n'avaient point ordre de pousser les choses à leur extrémité, et qui, d'ailleurs, n'étaient armés que de leurs couteaux, se tinrent immobiles et se contentèrent de suivre des yeux les deux inconnus jusqu'à ce qu'ils les eussent perdus de vue.
Donc, aucun renseignement à attendre de ces hommes, et le seul fil à l'aide duquel on p?t suivre la conspiration perdue dans le labyrinthe du palais de la
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