moment où la reine entra, pale et éclairée comme lady Macbeth par le reflet de la bougie qu'elle tenait à la main, dans cette chambre à l'atmosphère épaisse, cette espèce d'échappement qui précède la sonnerie se fit entendre, et la pendule sonna la demie après deux heures.
Ainsi que nous l'avons dit, la chambre était vide, et, comme si elle se f?t attendue à y trouver quelqu'un, la reine parut s'étonner de cette solitude. Un instant elle hésita à s'avancer; mais bient?t, surmontant cette terreur qui l'avait prise au bruit inattendu de la pendule, elle explora les deux angles de la chambre opposés au c?té par lequel elle était entrée, et vint, lente et pensive, s'asseoir à la table.
Cette table, tout au contraire de celle qui se trouvait chez le roi, était couverte de dossiers comme le bureau d'un tribunal, et offrait en triple tout ce qu'il fallait pour écrire, papier, encre et plumes.
La reine feuilleta distraitement les papiers; ses yeux les parcouraient sans les lire, son oreille tendue essayait de saisir le moindre bruit, son esprit errait loin du corps. Au bout d'un instant, ne pouvant contenir son impatience, elle se leva, alla à la porte donnant sur l'escalier secret, y appuya son oreille, et écouta.
Après quelques moments, elle entendit le grincement d'une clef qui tournait dans la serrure, et murmura ce mot, qui peignit l'impatience avec laquelle elle attendait:
--Enfin!
Puis alors, ouvrant la porte donnant sur un escalier sombre:
--Est-ce toi, Pasquale? demanda-t-elle.
--Oui, Votre Majesté, répondit une voix d'homme venant du bas de l'escalier.
--Tu viens bien tard! dit la reine regagnant sa place d'un air sombre et le sourcil froncé.
--Par ma foi! peu s'en est fallu que je ne vinsse pas du tout, répondit celui à qui l'on faisait le reproche de manquer de diligence.
La voix se rapprochait de plus en plus.
--Et pourquoi as-tu manqué de ne pas venir du tout?
--Parce que la besogne a été rude là-bas, dit l'homme apparaissant enfin à la porte de la chambre.
--Est-elle faite, du moins? demanda la reine.
--Oui, madame, grace à Dieu et à saint Pasquale, mon patron, elle est faite et bien faite; mais elle a co?té cher!
Et, en disant ces mots, le sbire déposait sur un fauteuil un manteau contenant des objets qui rendirent un son métallique au contact du meuble.
La reine le regarda faire avec une expression mêlée de curiosité et de dégo?t.
--Comment, cher? demanda-t-elle.
--Un homme tué et trois blessés, rien que cela.
--C'est bien. On fera une pension à la veuve et l'on donnera des gratifications aux blessés.
Le sbire s'inclina en signe de remerc?ment.
--Ils étaient donc plusieurs? demanda la reine.
--Non, madame, il était seul; mais c'était un lion que cet homme; j'ai été obligé de lui lancer mon couteau à dix pas; sans quoi, j'y passais comme les autres.
--Mais enfin?
--Enfin, on en est venu à bout.
--Et vous lui avez pris les papiers de force?
--Oh! non, de bonne volonté, madame: il était mort.
--Ah! fit la reine avec un léger frisson. Ainsi, vous avez été obligé de le tuer?
--Morbleu! plut?t deux fois qu'une, et cependant, foi de Simone! cela m'a fait de la peine; il fallait bien, je vous le jure, que ce f?t pour le service de Votre Majesté.
--Comment! cela t'a fait de la peine, de tuer un Fran?ais? Je ne te croyais pas le coeur si tendre aux soldats de la République.
--Ce n'était point un Fran?ais, madame, dit le sbire en secouant la tête.
--Quelle histoire me contes-tu là?
--Jamais Fran?ais n'a parlé le patois napolitain comme le parlait le pauvre diable.
--Holà! s'écria la reine, j'espère, que tu n'as pas commis quelque erreur. Je t'avais parfaitement annoncé un Fran?ais venant à cheval de Capoue à Pouzzoles.
--C'est bien cela, madame, et en barque de Pouzzoles au chateau de la reine Jeanne?
--Un aide de camp du général Championnet.
--Oh! c'est bien à lui que nous avons eu affaire. D'ailleurs, il a eu le soin de nous dire lui-même qui il était.
--Tu lui as donc adressé la parole?
--Sans doute, madame. En lui entendant hacher du napolitain comme de la paille, j'ai eu peur de me tromper et je lui ai demandé s'il était bien celui que j'étais chargé de tuer.
--Imbécile!
--Pas si imbécile, puisqu'il m'a répondu: ?Oui.?
--Il t'a répondu: ?Oui??
--Votre Majesté comprend bien qu'il e?t parfaitement pu me répondre autre chose; qu'il était de Basso-Porto ou de Porta-Capuana, et il m'e?t mis dans un grand embarras; car je n'eusse pas pu lui prouver le contraire. Mais non, il n'y a pas été par trente-six chemins. ?Je suis celui que vous cherchez.? Et pif! paf! voilà deux hommes à terre de deux coups de pistolet; et vli! vlan! voilà deux hommes à terre de deux coups de sabre. Il aura jugé indigne de mentir, car c'était un brave, je vous en réponds.
La reine fron?a le sourcil à cet éloge de la victime par son assassin.
--Et il est mort?
--Oui, madame, il
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