son livre Mes Périls,
raconte que, s'étant sauvé, déguisé en femme, dans une maison où l'on
voulut bien lui donner l'hospitalité, il y fit connaissance avec le curé
Rinaldi, qui, ne sachant point écrire, le tourmentait pour lui faire
rédiger pour Ferdinand un mémoire où il sollicitait de Sa Majesté la
faveur d'être nommé gouverneur de Capoue, énumérant au nombre de
ses droits incontestables à ce poste d'avoir, à cinq ou six reprises
différentes, mangé du jacobin, et, entre autres, une épaule d'enfant tiré
du sein de sa mère éventrée.
On ferait un livre à part du simple récit des différentes tortures infligées
aux patriotes, tortures qui font le plus grand honneur à l'imagination des
lazzaroni napolitains, en ce que ces tortures ne sont portées ni sur le
répertoire de l'inquisition, ni sur le catalogue des supplices des Indiens
rouges.]
Ce bûcher était fait d'une partie des meubles du palais jetés par les
fenêtres. Mais, la rue s'étant trouvée encombrée, le rez-de-chaussée
avait été moins dévasté que les autres pièces, et dans la salle à manger
restaient une vingtaine de chaises et une pendule qui continuait à
marquer l'heure avec l'impassibilité des choses mécaniques.
Salvato jeta un coup d'oeil machinal sur cette pendule: elle marquait
quatre heures un quart.
Les hommes qui le portaient le déposèrent sur la table. Décidé à ne pas
échanger une parole avec ses bourreaux, soit par le mépris qu'il faisait
d'eux, soit par la conviction que cette parole serait inutile, il se coucha
sur le côté comme un homme qui dort.
Alors, entre tous ces hommes, experts en torture, il fut débattu de quel
genre de mort mourrait Salvato.
Brûlé à petit feu, écorché vif, coupé en morceaux, Salvato pouvait
supporter tout cela sans jeter une plainte, sans pousser un cri.
C'était du meurtre, et, aux yeux de ces hommes, le meurtre ne
déshonorait pas, n'humiliait pas, n'abaissait pas celui qui en était la
victime.
Le beccaïo voulait autre chose. D'ailleurs, il déclarait qu'ayant été
défiguré et mutilé par Salvato, Salvato lui appartenait. C'était son bien,
sa propriété, sa chose. Il avait donc le droit de le faire mourir comme il
voudrait.
Or, il voulait que Salvato mourût pendu.
La pendaison est une mort ridicule, où le sang n'est point répandu,--le
sang ennoblit la mort;--les yeux sortent de leurs orbites, la langue enfle
et jaillit hors de la bouche, le patient se balance avec des gestes
grotesques. C'était ainsi, pour qu'il mourût dix fois, que Salvato devait
mourir.
Salvato entendait toute cette discussion, et il était forcé de se dire que le
beccaïo, eût-il été Satan lui-même, et, en sa qualité de roi des réprouvés,
eût-il pu lire en son âme, il n'eût pas mieux deviné ce qui s'y passait.
Il fut donc convenu que Salvato mourrait pendu.
Au-dessus de la table où était couché Salvato se trouvait un anneau
ayant servi à suspendre un lustre.
Seulement, le lustre avait été brisé.
Mais on n'avait pas besoin du lustre pour ce que voulait faire le beccaïo:
on n'avait besoin que de l'anneau.
Il prit une corde dans sa main droite, et, si mutilée que fût sa main
gauche, il parvint à y faire un noeud coulant.
Puis il monta sur la table, et, de la table, comme il eût fait d'un
escabeau, sur le corps de Salvato, qui demeura aussi insensible à la
pression du pied immonde que s'il eût été déjà changé en cadavre.
Il passa la corde dans l'anneau.
Tout à coup il s'arrêta; il était évident qu'une idée nouvelle venait de lui
traverser l'esprit.
Il laissa le noeud coulant pendre à l'anneau et jeta à terre l'autre
extrémité de la corde.
--Oh! dit-il, camarades, je vous demande un quart d'heure, rien qu'un
quart d'heure! Pendant un quart d'heure, promettez-moi de me le garder
vivant, et je vous promets, moi, pour ce jacobin, une mort dont vous
serez tous contents.
Chacun demanda au beccaïo ce qu'il voulait dire et de quelle mort il
entendait parler; mais le beccaïo, refusant obstinément de répondre aux
questions qui lui furent faites, s'élança hors du palais et prit sa course
vers la via dei Sospiri-dell'Abisso.
LXV
CE QU'ALLAIT FAIRE LE BECCAÏO VIA DEI
SOSPIRI-DELL'ABISSO
La via dei Sospiri-dell'Abisso, c'est-à-dire la rue des
Soupirs-de-l'Abîme, donnait d'un côté sur le quai della strada Nuova, de
l'autre sur le Vieux-Marché, où se faisaient d'habitude les exécutions.
On l'appelait ainsi, parce qu'en entrant dans cette rue, les condamnés,
pour la première fois, apercevaient l'échafaud et qu'il était bien rare que
cette vue ne leur tirât point un amer soupir du fond des entrailles.
Dans une maison à porte si basse qu'il semblait qu'aucune créature
humaine n'y pût entrer la tête levée, et dans laquelle on n'entrait, en
effet, qu'en descendant deux marches et en se courbant, comme pour
entrer dans une caverne,
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