La Recluse | Page 7

Pierre Zaccone
le jour.
-- Que f?tes-vous?
La jeune femme mordit ses lèvres avec rage.
--Ah! je n'eus pas une seconde d'hésitation, Monsieur, je le jure, répondit-elle; quand je m'aper?us que le bonheur rêvé s'était effondré, que je n'avais plus rien à espérer du misérable qui m'avait si indignement trompée, il se fit en moi une révolution soudaine, inattendue... Le mépris rempla?a l'amour presque instantanément, et à la place de l'amant disparu, je ne vis plus que l'enfant qui n'avait pas demandé à na?tre et à laquelle je résolus de consacrer ma vie tout entière!...
-- Voilà qui était bien.
-- Sans doute, et Dieu m'est témoin que je l'eusse fait comme je l'avais résolu; seulement, j'avais compté sans mon père!...
-- Comment?
-- Depuis quelques jours il était de retour; il avait demandé à quitter la marine pour entrer dans le service des arsenaux. Il ignorait ma honte; mais quelqu'un se chargea de l'en instruire, et alors...
-- Qu'arriva-t-il?
-- Une nuit... j'étais seule... mon enfant dormait près de moi, je travaillais avec acharnement pour gagner le pain de chaque jour... et, en même temps, pour amasser la petite somme qui devait me permettre de fuir et de me dérober à la colère de mon père; j'étais presque heureuse à cette perspective de me retrancher du monde, ne pouvant croire qu'aucun obstacle p?t m'empêcher de mettre mon projet à exécution, quand tout à coup la porte de ma chambre s'ouvrit brusquement, et deux hommes en franchirent le seuil.
-- Quels étaient ces hommes?
-- L'un était mon père... l'autre un de ses anciens camarades, que j'avais déjà vu une fois ou deux et qui commandait le cutter de l'état qui fait le service de la c?te. Je me levai, le coeur glacé, avec une subite appréhension du danger, et je me précipitai vers le berceau, pour défendre mon enfant, que je croyais surtout menacée! Mais mon père me prit brutalement par le bras, et, pendant qu'il me nouait un baillon sur la bouche, son compagnon me garrottait énergiquement, de fa?on à rendre tout cri et tout mouvement impossibles.
Quelques heures plus tard le cutter de l'état me déposait au pied du phare où je pénétrais pour n'en plus sortir!...
-- Mais votre enfant?...
-- Je n'en ai pas eu de nouvelles.
-- Quoi! votre père ne vous a pas dit...
-- Pendant dix années, Monsieur, nous avons vécu ici, l'un près de l'autre, sans échanger une parole. J'ai pleuré, j'ai supplié, j'ai menacé. Cent fois, sous ses yeux, j'ai fait le mouvement de me précipiter sur les rochers du phare, et il est resté muet, plus terrible que s'il m'e?t accablée de reproches ou tuée de sa main vengeresse.
-- C'est terrible.
-- N'est-ce pas?...
-- Et pendant ces dix ans, il ne s'est produit aucun incident?
-- Aucun.
-- Personne n'a abordé le phare?
-- Personne.
Il y eut un nouveau et long silence.
Gaston était fort troublé par le récit qu'il venait d'entendre, et une suprême pitié s'élevait de son coeur à la pensée des tortures que la malheureuse avait d? souffrir.
Elle avait été coupable, sans doute!... Mais comment excuser le raffinement que l'on avait déployé dans le chatiment.
Il lui prit la main, et la serra avec intérêt.
Le sentiment qu'il éprouvait était, il faut le dire, d'une nature exceptionnelle.
La jeune femme avait d? être fort belle, ainsi qu'elle l'avait dit elle-même, mais le chagrin avait profondément altéré ses traits, et elle ne conservait que de rares vestiges de sa beauté d'autrefois.
L'oeil seul avait encore tout son éclat et toute sa vivacité, et il s'en échappait par instants des effluves ardentes dont on subissait malgré soi l'impression pénétrante et forte.
-- Dieu a eu pitié de votre situation lamentable, dit enfin Gaston; la liberté qui va vous être rendue vous permettra de vous livrer à des recherches qui vous ont été interdites jusqu'à ce jour.
-- J'essaierai, en effet, répondit la jeune femme en remuant tristement la tête.
-- Au moins, votre père vous laisse-t-il quelque aisance?
Un double éclair s'alluma à cette question dans les yeux de la fille du capitaine d'armes, et un sourire d'une expression mystérieuse releva le coin de sa lèvre.
-- Sous ce rapport, dit-elle d'un ton ironique, le hasard aura déjoué les calculs de mon bourreau.
-- Comment cela?
-- Au moment où il vint habiter le phare, mon père avait réalisé presque toute sa fortune, qui consistait en vingt mille dollars environ... Je savais qu'il avait caché cette somme dans une des nombreuses caches que recèlent les murs épais de la tour, et pendant deux années, sans lui donner le soup?on de mes préoccupations, j'usai de mille stratagèmes pour découvrir l'endroit où il avait enfoui son trésor. Il y a huit jours seulement, et comme sa fin approchait, que je parvins enfin à mon but.
-- Et vous avez cette somme?
-- Il y avait à peine dix minutes qu'il avait cessé de vivre, qu'elle était en ma possession.
Gaston baissa le front sans répondre.
Décidément, tout ce
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 94
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.