que l'arrangement devait être de nature à satisfaire les
populations de la Bulgarie et de la Roumélie, aussi bien que le prince,
afin d'éviter une nouvelle agitation.» (Blue Book, II, n° 133.)
Tandis que l'Autriche et l'Angleterre, entièrement d'accord, et même
l'Allemagne et l'Italie, acceptaient comme inévitable l'union des deux
Bulgaries et que la Porte s'y résignait, la Russie la combattit avec
acharnement, contrairement aux sentiments de la nation russe, car nous
voyons dans le Blue Book anglais (B. B., I, n° 161) que les officiers
russes à Philippopoli applaudirent à la révolution du 18 septembre,
jusqu'au moment où des instructions en sens contraire leur arrivèrent.
Dans ses conversations avec le ministre anglais à Saint-Pétersbourg, M.
de Giers soutenait, en contradiction avec les faits connus de tous, «que
l'union n'était nullement réclamée par le sentiment national et que la
décision des Bulgares de mourir pour la patrie et leur enthousiasme
patriotique étaient des inventions de la presse.» (B. B., I, n°402.) Il
insistait sans cesse sur le respect absolu du traité de Berlin et sur le
rétablissement du status quo ante (B. B., n° 411 et 495.) «En résumé,
dit sir R. Morier, le gouvernement russe est décidé à s'opposer à la
réunion des deux provinces, sous n'importe quelle forme.» (B. B., I, n°
529.)
Dans la séance de la conférence du 25 novembre, l'ambassadeur de
Russie, M. de Nélidoff, demanda que la base de toutes les délibérations
fût «le rétablissement de l'ordre, en conformité avec les stipulations du
traité de Berlin», ce qui impliquait un veto absolu à l'union des deux
Bulgaries.
Quelques jours plus tard, le consul de Russie à Philippopoli menaça les
notables rouméliotes de l'intervention des troupes turques, s'ils
n'acquiesçaient pas immédiatement aux demandes de la Porte. Les
notables répondirent fièrement qu'ils repousseraient les Turcs et qu'ils
avaient sur la frontière une armée de 70,000 hommes prête à combattre
quiconque passerait leur frontière. (B. B., II, n° 57.)
Pourquoi la Russie persista-t-elle à défendre seule le traité de Berlin,
qu'elle avait tant maudit, et à combattre la réalisation du but principal
de son traité de San-Stéfano?
Les journaux russes ont prétendu que l'empereur Alexandre a pris cette
attitude pour prouver à tous qu'il n'avait ni encouragé ni approuvé la
révolution rouméliote, mais chacun savait que le mouvement avait été
improvisé sur place et à l'insu de toutes les chancelleries. Le 20
septembre, le comte Kálnoky dit à l'ambassadeur anglais à Vienne: «Ce
mouvement a été préparé en Bulgarie, mais sans la connivence et sans
la connaissance du czar ou du gouvernement russe, qui ont été aussi
surpris que nous.» (B. B., I, n° 9.)
Le 10 octobre, M. Tisza, répondant dans le Parlement hongrois à une
interpellation du député Szilagyi, s'exprima ainsi: «Nous savions qu'il
existait en Bulgarie une aspiration vers l'union des deux provinces.
Cette aspiration était bien connue de tous ceux qui suivaient les
événements dans ce pays. L'an dernier, quand ce mouvement s'accentua,
plusieurs des grandes puissances intervinrent pour maintenir le statu
quo, mais ni nous, ni aucun autre gouvernement ne prévoyait ce qui
devait arriver le 18 septembre, à la suite d'une conspiration et d'une
révolution.»
La Russie elle-même savait que le prince Alexandre n'y était pour rien.
Car le 21 novembre M. de Giers dit au ministre anglais à
Saint-Pétersbourg «que la révolution n'avait pu être ni préparée ni
exécutée par le prince de Bulgarie, parce qu'il n'avait pas les capacités
nécessaires pour conduire une entreprise de cette importance». (B. B., I,
n° 74.)
Les Russes accusent le prince de Battenberg de s'être montré ingrat
envers la Russie et d'avoir adopté à son égard une politique hostile. Il
n'en est rien: le prince n'avait aucun intérêt à se brouiller avec le czar,
mais il n'avait pu se résoudre à être le très humble serviteur des deux
proconsuls russes, les généraux Kaulbars et Soboleff, qui entendaient
lui imposer leur volonté de la façon la plus impérieuse et la plus
insolente. Les officiers et les fonctionnaires russes avaient provoqué
une grande irritation d'abord, parce qu'ils ne cachaient par leur dédain
pour la manière de vivre simple et rustique de leurs protégés, et ensuite
parce que leurs dépenses extravagantes offensaient les sentiments
d'économie des Bulgares, qui savaient que cet argent si follement
gaspillé était le leur.
Le véritable motif de l'opposition du czar à l'union des deux Bulgaries
semble être celui-ci. La Russie, en affranchissant la Bulgarie au prix
d'une guerre très coûteuse et très meurtrière, avait espéré que cette
province, bientôt russifiée, serait restée entièrement sous sa dépendance,
comme la Bosnie sous celle de l'Autriche. Les troupes bulgares,
exercées et commandées par des officiers russes, devaient former un ou
deux corps de sa propre armée. L'assimilation semblait d'autant plus
facile, que la langue bulgare est de tous les dialectes slaves celui qui se
rapproche le
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