La Marquise | Page 7

George Sand
loge à la Comédie-Française pour ne pas me trahir. Je feignis d'être
devenue dévote, et d'aller, le soir, prier dans les églises. Au lieu de cela, je m'habillais en
grisette, et j'allais me mêler au peuple pour l'écouter et le contempler à mon aise. Enfin, je
gagnai un des employés du théâtre, et j'eus, dans un coin de la salle, une place étroite et
secrète où nul regard ne pouvait m'atteindre et où je me rendais par un passage dérobé.
Pour plus de sûreté, je m'habillais en écolier. Ces folies que je faisais pour un homme
avec lequel je n'avais jamais échangé un mot ni un regard, avaient pour moi tout l'attrait
du mystère et toute l'illusion du bonheur. Quand l'heure de la comédie sonnait à l'énorme
pendule de mon salon, de violentes palpitations me saisissaient. J'essayais de me
recueillir, tandis qu'on apprêtait ma voiture; je marchais avec agitation, et si Larrieux était
près de moi, je le brutalisais pour le renvoyer; j'éloignais avec un art infini les autres
importuns. Tout l'esprit que me donna cette passion de théâtre n'est pas croyable. Il faut
que j'aie eu bien de la dissimulation et bien de la finesse pour le cacher pendant cinq ans
à Larrieux, qui était le plus jaloux des hommes, et à tous les méchants qui m'entouraient.
Il faut vous dire qu'au lieu de la combattre je m'y livrais avec avidité, avec délices. Elle
était si pure! Pourquoi donc en aurais-je rougi? Elle me créait une vie nouvelle; elle
m'initiait enfin à tout ce que j'avais désiré connaître et sentir; jusqu'à un certain point elle
me faisait femme.
J'étais heureuse, j'étais fière de me sentir trembler, étouffer, défaillir. La première fois
qu'une violente palpitation vint éveiller mon coeur inerte, j'eus autant d'orgueil qu'une
jeune mère au premier mouvement de l'enfant renfermé dans son sein. Je devins
boudeuse, rieuse, maligne, inégale. Le bon Larrieux observa que la dévotion me donnait
de singuliers caprices. Dans le monde, on trouva que j'embellissais chaque jour davantage,
que mon oeil noir se veloutait, que mon sourire avait de la pensée, que mes remarques sur
toutes choses portaient plus juste et allaient plus loin qu'on ne m'en aurait crue capable.
On en fit tout l'honneur à Larrieux, qui en était pourtant bien innocent.
Je suis décousue dans mes souvenirs, parce que voici une époque de ma vie où ils
m'inondent. En vous les disant, il me semble que je rajeunis et que mon coeur bat encore
au nom de Lélio. Je vous disais tout à l'heure qu'en entendant sonner la pendule je
frémissais de joie et d'impatience. Maintenant encore il me semble ressentir l'espèce de
suffocation délicieuse qui s'emparait de moi au timbre de cette sonnerie. Depuis ce
temps-là des vicissitudes de fortune m'ont amenée à me trouver fort heureuse dans un
petit appartement du Marais. Eh bien! je ne regrette rien de mon riche hôtel, de mon
noble faubourg et de ma splendeur passée, que les objets qui m'eussent rappelé ce temps
d'amour et de rêves. J'ai sauvé du désastre quelques meubles qui datent de cette époque,
et que je regarde avec la même émotion que si l'heure allait sonner, et que si le pied de
mes chevaux battait le pavé. Oh! mon enfant, n'aimez jamais ainsi; car c'est un orage qui
ne s'apaise qu'à la mort!
Alors je partais, vive, et légère, et jeune, et heureuse! Je commençais à apprécier tout ce

dont se composait ma vie, le luxe, la jeunesse, la beauté. Le bonheur se révélait à moi par
tous les sens, par tous les pores. Doucement pliée au fond de mon carrosse, les pieds
enfoncés dans la fourrure, je voyais ma figure brillante et parée se répéter dans la glace
encadrée d'or placée vis-à-vis de moi. Le costume des femmes, dont on s'est tant moqué
depuis, était alors d'une richesse et d'un éclat extraordinaires; porté avec goût et châtié
dans ses exagérations, il prêtait à la beauté une noblesse et une grâce moelleuse dont les
peintures ne sauraient vous donner l'idée. Avec tout cet attirail de plumes, d'étoffes et de
fleurs, une femme était forcée de mettre une sorte de lenteur à tous ses mouvements. J'en
ai vu de fort blanches qui, lorsqu'elles étaient poudrées et habillées de blanc, traînant leur
longue queue de moire et balançant avec souplesse les plumes de leur front, pouvaient,
sans hyperbole, être comparées à des cygnes. C'était, en effet, quoi qu'en ait dit Rousseau,
bien plus à des oiseaux qu'à des guêpes que nous ressemblions avec ces énormes plis de
satin, cette profusion de mousselines et de bouffantes qui cachaient un petit corps tout
frêle, comme le duvet cache la tourterelle; avec ces longs ailerons de dentelle qui
tombaient du bras, avec ces vives couleurs qui bigarraient nos jupes, nos rubans et nos
pierreries; et quand
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