La Maison Tellier
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Title: La Maison Tellier
Author: Guy de Maupassant
Release Date: March 15, 2004 [EBook #11596]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
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MAISON TELLIER ***
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GUY DE MAUPASSANT
La
Maison Tellier
1891
À
IVAN TOURGUENEFF
_Hommage d'une affection profonde et d'une grande admiration_
GUY DE MAUPASSANT.
LA MAISON TELLIER
I
On allait là, chaque soir, vers onze heures, comme au café, simplement.
Ils s'y retrouvaient à six ou huit, toujours les mêmes, non pas des
noceurs, mais des hommes honorables, des commerçants, des jeunes
gens de la ville; et l'on prenait sa chartreuse en lutinant quelque peu les
filles, ou bien on causait sérieusement avec _Madame_, que tout le
monde respectait.
Puis on rentrait se coucher avant minuit. Les jeunes gens quelquefois
restaient.
La maison était familiale, toute petite, peinte en jaune, à l'encoignure
d'une rue derrière l'église Saint-Étienne; et, par les fenêtres, on
apercevait le bassin plein de navires qu'on déchargeait, le grand marais
salant appelé «la Retenue» et, derrière, la côte de la Vierge avec sa
vieille chapelle toute grise.
_Madame_, issue d'une bonne famille de paysans du département de
l'Eure, avait accepté cette profession absolument comme elle serait
devenue modiste ou lingère. Le préjugé du déshonneur attaché à la
prostitution, si violent et si vivace dans les villes, n'existe pas dans la
campagne normande. Le paysan dit:--«C'est un bon métier»;--et il
envoie son enfant tenir un harem de filles comme il l'enverrait diriger
un pensionnat de demoiselles.
Cette maison, du reste, était venue par héritage d'un vieil oncle qui la
possédait Monsieur et _Madame_, autrefois aubergistes près d'Yvetot,
avaient immédiatement liquidé, jugeant l'affaire de Fécamp plus
avantageuse pour eux; et ils étaient arrivés un beau matin prendre la
direction de l'entreprise qui périclitait en l'absence des patrons.
C'étaient de braves gens qui se firent aimer tout de suite de leur
personnel et des voisins.
Monsieur mourut d'un coup de sang deux ans plus tard. Sa nouvelle
profession l'entretenant dans la mollesse et l'immobilité, il était devenu
très gros, et la santé l'avait étouffé.
Madame, depuis son veuvage, était vainement désirée par tous les
habitués de l'établissement; mais on la disait absolument sage, et ses
pensionnaires elles-mêmes n'étaient parvenues à rien découvrir.
Elle était grande, charnue, avenante. Son teint, pâli dans l'obscurité de
ce logis toujours clos, luisait comme sous un vernis gras. Une mince
garniture de cheveux follets, faux et frisés, entourait son front, et lui
donnait un aspect juvénile qui jurait avec la maturité de ses formes.
Invariablement gaie et la figure ouverte, elle plaisantait volontiers, avec
une nuance de retenue que ses occupations nouvelles n'avaient pas
encore pu lui faire perdre. Les gros mots la choquaient toujours un peu;
et quand un garçon mal élevé appelait de son nom propre
l'établissement qu'elle dirigeait, elle se fâchait, révoltée. Enfin elle avait
l'âme délicate, et bien que traitant ses femmes en amies, elle répétait
volontiers qu'elles «n'étaient point du même panier».
Parfois, durant la semaine, elle partait en voiture de louage avec une
fraction de sa troupe; et l'on allait folâtrer sur l'herbe au bord de la
petite rivière qui coule dans les fonds de Valmont. C'étaient alors des
parties de pensionnaires échappées, des courses folles, des jeux
enfantins, toute une joie de recluses grisées par le grand air. On
mangeait de la charcuterie sur le gazon en buvant du cidre, et l'on
rentrait à la nuit tombante avec une fatigue délicieuse, un
attendrissement doux; et dans la voiture on embrassait Madame comme
une mère très bonne, pleine de mansuétude et de complaisance.
La maison avait deux entrées. À l'encoignure, une sorte de café borgne
s'ouvrait, le soir, aux gens du peuple et aux matelots. Deux des
personnes chargées du commerce spécial du lieu étaient
particulièrement destinées aux besoins de cette partie de la clientèle.
Elles servaient, avec l'aide du garçon, nommé Frédéric, un petit blond
imberbe et fort comme un boeuf, les chopines de vin et les canettes sur
les tables de marbre branlantes, et, les bras jetés au cou des buveurs,
assises en travers de leurs jambes, elles poussaient à la consommation.
Les trois autres dames (elles n'étaient que cinq) formaient une sorte
d'aristocratie, et demeuraient réservées à la compagnie du premier, à
moins pourtant
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