La Maison Tellier | Page 8

Guy de Maupassant
parents, venus de loin, entouraient l'enfant: aussi le triomphe du menuisier fut-il complet. Le r��giment Tellier, patronne en t��te, suivait Constance; et le p��re donnant le bras �� sa soeur, la m��re marchant �� c?t�� de Rapha?le, Fernande avec Rosa, et les deux Pompes ensemble, la troupe se d��ployait majestueusement comme un ��tat-major en grand uniforme.
L'effet dans le village fut foudroyant.
�� l'��cole, les filles se rang��rent sous la cornette de la bonne soeur, les gar?ons sous le chapeau de l'instituteur, un bel homme qui repr��sentait; et l'on partit en attaquant un cantique.
Les enfants males en t��te allongeaient leurs deux files entre les deux rangs de voitures d��tel��es, les filles suivaient dans le m��me ordre; et tous les habitants ayant c��d�� le pas aux dames de la ville par consid��ration, elles arrivaient imm��diatement apr��s les petites, prolongeant encore la double ligne de la procession; trois �� gauche et trois �� droite, avec leurs toilettes ��clatantes comme un bouquet de feu d'artifice.
Leur entr��e dans l'��glise affola la population. On se pressait, on se retournait, on se poussait pour les voir. Et des d��votes parlaient presque haut, stup��faites par le spectacle de ces dames plus chamarr��es que les chasubles des chantres. Le maire offrit son banc, le premier banc �� droite aupr��s du choeur, et Mme Tellier y prit place avec sa belle-soeur, Fernande et Rapha?le. Rosa la Rosse et les deux Pompes occup��rent le second banc en compagnie du menuisier.
Le choeur de l'��glise ��tait plein d'enfants �� genoux, filles d'un c?t��, gar?ons de l'autre, et les longs cierges qu'ils tenaient en main semblaient des lances inclin��es en tous sens.
Devant le lutrin, trois hommes debout chantaient d'une voix pleine. Ils prolongeaient ind��finiment les syllabes du latin sonore, ��ternisant les Amen avec des _a-a_ ind��finis que le serpent soutenait de sa note monotone pouss��e sans fin, mugie par l'instrument de cuivre �� large gueule. La voix pointue d'un enfant donnait la r��plique, et, de temps en temps, un pr��tre assis dans une stalle et coiff�� d'une barrette carr��e se levait, bredouillait quelque chose et s'asseyait de nouveau, tandis que les trois chantres repartaient, l'oeil fix�� sur le gros livre de plain-chant ouvert devant eux et port�� par les ailes d��ploy��es d'un aigle de bois mont�� sur pivot.
Puis un silence se fit. Toute l'assistance, d'un seul mouvement, se mit �� genoux, et l'officiant parut, vieux, v��n��rable, avec des cheveux blancs, inclin�� sur le calice qu'il portait de sa main gauche. Devant lui marchaient les deux servants en robe rouge, et, derri��re, apparut une foule de chantres �� gros souliers qui s'align��rent des deux c?t��s du choeur.
Une petite clochette tinta au milieu du grand silence. L'office divin commen?ait. Le pr��tre circulait lentement devant le tabernacle d'or, faisait des g��nuflexions, psalmodiait de sa voix cass��e, chevrotante de vieillesse, les pri��res pr��paratoires. Aussit?t qu'il s'��tait tu, tous les chantres et le serpent ��clataient d'un seul coup, et des hommes aussi chantaient dans l'��glise, d'une voix moins forte, plus humble, comme doivent chanter les assistants.
Soudain le Kyrie Eleison jaillit vers le ciel, pouss�� par toutes les poitrines et tous les coeurs. Des grains de poussi��re et des fragments de bois vermoulu tomb��rent m��me de la vo?te ancienne secou��e par cette explosion de cris. Le soleil qui frappait sur les ardoises du toit faisait une fournaise de la petite ��glise; et une grande ��motion, une attente anxieuse, les approches de l'ineffable myst��re, ��treignaient le coeur des enfants, serraient la gorge de leurs m��res.
Le pr��tre, qui s'��tait assis quelque temps, remonta vers l'autel, et, t��te nue, couvert de ses cheveux d'argent, avec des gestes tremblants, il approchait de l'acte surnaturel.
Il se tourna vers les fid��les, et, les mains tendues vers eux, pronon?a: ?_Orate, fratres_?, ?priez, mes fr��res.? Ils priaient tous. Le vieux cur�� balbutiait maintenant tout bas les paroles myst��rieuses et supr��mes; la clochette tintait coup sur coup; la foule prostern��e appelait Dieu; les enfants d��faillaient d'une anxi��t�� d��mesur��e.
C'est alors que Rosa, le front dans ses mains, se rappela tout �� coup sa m��re, l'��glise de son village, sa premi��re communion. Elle se crut revenue �� ce jour-l��, quand elle ��tait si petite, toute noy��e en sa robe blanche, et elle se mit �� pleurer. Elle pleura doucement d'abord: les larmes lentes sortaient de ses paupi��res, puis, avec ses souvenirs, son ��motion grandit, et, le cou gonfl��, la poitrine battante, elle sanglota. Elle avait tir�� son mouchoir, s'essuyait les yeux, se tamponnait le nez et la bouche pour ne point crier: ce fut en vain; une esp��ce de rale sortit de sa gorge, et deux autres soupirs profonds, d��chirants, lui r��pondirent; car ses deux voisines, abattues pr��s d'elle, Louise et Flora, ��treintes des m��mes souvenances lointaines, g��missaient aussi avec des torrents de larmes.
Mais comme les larmes sont contagieuses, Madame, �� son tour, sentit bient?t ses paupi��res humides, et, se tournant vers
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