et de soleil, rassasiée de vie nomade, de sable et de liberté. En deux ans elle retourna ainsi quatre fois chez elle.
Je la reprenais ga?ment, sans jalousie, car pour moi la jalousie ne petit na?tre que de l'amour, tel que nous le comprenons chez nous. Certes, j'aurais fort bien pu la tuer si je l'avais surprise me trompant, mais je l'aurais tuée un peu comme on assomme, par pure violence, un chien qui désobéit. Je n'aurais pas senti ces tourments, ce feu rongeur, ce mal horrible, la jalousie du Nord. Je viens de dire que j'aurais pu la tuer comme on assomme un chien qui désobéit! Je l'aimais en effet, un peu comme on aime un animal très rare, chien ou cheval, impossible à remplacer. C'était une bête admirable, une bête sensuelle, une bête à plaisir, qui avait un corps de femme.
Je ne saurais vous exprimer quelles distances incommensurables séparaient nos ames, bien que nos coeurs, peut-être, se fussent fr?lés, échauffés l'un l'autre, par moments. Elle était quelque chose de ma maison, de ma vie, une habitude fort agréable à laquelle je tenais et qu'aimait en moi l'homme charnel, celui qui n'a que des yeux et des sens.
Or, un matin Mohammed entra chez moi avec une figure singulière, ce regard inquiet des arabes qui ressemble au regard fuyant d'un chat en face d'un chien.
Je lui dis, en apercevant cette figure.
--Hein? qu'y a-t-il?
--Allouma il est parti.
Je me mis à rire.
--Parti, où ?a?
--Parti tout à fait, moussié!
--Comment, parti tout à fait?
--Oui, moussié.
--Tu es fou, mon gar?on?
--Non, moussié.
--Pourquoi ?a parti? Comment? Voyons? Explique-toi!
Il demeurait immobile, ne voulant pas parler; puis, soudain il eut une de ces explosions de colère arabe qui nous arrêtent dans les rues des villes devant deux énergumènes, dont le silence et la gravité orientales font place brusquement aux plus extrêmes gesticulations et aux vociférations les plus féroces.
Et je compris au milieu de ces cris qu'Allouma s'était enfuie avec mon berger.
Je dus calmer Mohammed et tirer de lui, un à un, des détails.
Ce fut long, j'appris enfin que depuis huit jours il épiait ma ma?tresse qui avait des rendez-vous, derrière les bois de cactus voisins ou dans le ravin de lauriers-roses, avec une sorte de vagabond, engagé comme berger par mon intendant, à la fin du mois précédent.
La nuit dernière, Mohammed l'avait vue sortir sans la voir rentrer; et il répétait, d'un air exaspéré.
--Parti, moussié, il est parti!
Je ne sais pourquoi, mais sa conviction, la conviction de cette fuite avec ce r?deur, était entrée en moi, en une seconde, absolue, irrésistible. Cela était absurde, invraisemblable et certain en vertu de l'irraisonnable qui est la seule logique des femmes.
Le coeur serré, une colère dans le sang, je cherchais à me rappeler les traits de cet homme, et je me souvint tout à coup que je l'avais vu, l'autre semaine, debout sur une butte de terre, au milieu de son troupeau, et me regardant. C'était une sorte de grand bédouin dont la couleur des membres nus se confondait avec celle des haillons, un type de brute barbare aux pommettes saillantes, au nez crochu, au menton fuyant, aux jambes sèches, une haute carcasse en guenilles avec des yeux faux de chacal.
Je ne doutais point--oui--elle avait fui avec ce gueux. Pourquoi? Parce qu'elle était Allouma, une fille du sable. Une autre, à Paris, fille du trottoir aurait fui avec mon cocher ou avec un r?deur de barrière.
--C'est bon, dis-je à Mohammed. Si elle est partie, tant pis pour elle. J'ai des lettres à écrire. Laisse-moi seul.
Il s'en alla, surpris de mon calme. Moi, je me levai, j'ouvris ma fenêtre et je me mis à respirer par grands souffles qui m'entraient au fond de la poitrine, l'air étouffant venu du Sud, car le sirocco soufflait.
Puis je pensai: ?Mon Dieu, c'est une... une femme, comme bien d'autres. Sait-on... sait-on ce qui les fait agir, ce qui les fait aimer, suivre ou lacher un homme??
Oui, on sait quelquefois--souvent, on ne sait pas. Par moments, on doute?
Pourquoi a-t-elle disparu avec cette brute répugnante? Pourquoi? Peut-être parce que depuis un mois le vent vient du Sud presque régulièrement.
Cela suffit! un souffle! Sait-elle, savent-elles, le plus souvent, même les plus fines et les plus compliquées, pourquoi elles agissent? Pas plus qu'une girouette qui tourne au vent. Une brise insensible fait pivoter la flèche de fer, de cuivre, de t?le ou de bois, de même qu'une influence imperceptible, une impression insaisissable remue, et pousse, aux résolutions le coeur changeant des femmes, qu'elles soient des villes, des champs, des faubourgs ou du désert.
Elle peuvent sentir, ensuite; si elles raisonnent et comprennent, pourquoi elles ont fait ceci plut?t que cela; mais sur le moment elles l'ignorent, car elles sont les jouets de leur sensibilité à surprises, les esclaves étourdies des événements, des milieux, des émotions, des rencontres et de tous les effleurements dont

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