La Femme Abbé | Page 2

Sylvain Maréchal
entendre du c?té opposé à celui où nous étions. Plusieurs personnes se levèrent; l'une d'elles sortit, à la prière de ses voisines. La cause de ce mouvement ne tarda pas à être sue. J'appris que cette femme coquette, qui avait inspiré une funeste passion au trop sensible Saint-Almont, (c'est ainsi qu'on appelle le nouveau prêtre) était venue insulter au malheur, et jouir de son triomphe. Les yeux de Saint-Almont avaient reconnu cette femme; et cette rencontre inattendue produisit la crise que je viens de te décrire en peu de mots. Ma chère Zoé, souffre que je termine ici ma lettre. Mes doigts tremblans se refusent à t'en écrire pour cette fois davantage.

III.
AGATHE à ZOé.
Je ne t'ai point achevé mon récit. Saint-Almont poursuivit sa messe avec assez de courage. Vers le milieu, un de ses collègues lui adressa une espèce de sermon que je trouvai trop court, quoiqu'il dura plus de la demi-heure; ce qui me donna tout loisir d'examiner Saint-Almont, assis dans un fauteuil, au-dessus de moi, sur le bord du sanctuaire. Il parut donner toute son attention au discours, qui roulait sur les ressources de la religion. ?La religion, disait l'orateur sacré, et surtout le sacerdoce, est un asile contre les passions, et un port dans le naufrage. Que de honteuses faiblesses elle a su prévenir ou réparer! De toutes les sortes de philosophie, la religion est encore la plus puissante... etc.? Saint-Almont écoutait en fermant les yeux; de fréquens soupirs sortaient péniblement de ses lèvres. De temps en temps, il portait ses deux mains à son front.
Cet infortuné para?t avoir à peine atteint l'age requis pour la prêtrise. J'aurais bien désiré voir et conna?tre la femme, auteur de son désespoir; mais je parvins, après l'office, à dire quelques mots à un ami intime de Saint-Almont. J'allai à lui, dans une pièce voisine de la sacristie; il était presque aussi abattu que son ami. Il me dit: ?Saint-Almont e?t fait un bon citoyen; il sera bon prêtre: quelque soit son état, il en saura remplir les devoirs en honnête homme.?
Je hasardai ce peu de paroles: ?Mais il semble plut?t résigné à la profession qu'il embrasse, que bien convaincu qu'elle lui convient. Le ministère auquel il se voue, est-il bien de son choix??
Il me fut répliqué: ?L'honnête homme est fidèle à ses engagemens, de quelque nature qu'il les ait pris. Je réponds de mon ami.?
La plupart des assistans comptaient bien retrouver Saint-Almont, pour le féliciter comme c'est l'usage; mais il se déroba à nos empressemens, et je me retirai, toute rêveuse, avec ma grand'maman, qui me dit en route: ?Ce jeune homme m'a édifiée; qu'en penses-tu?--Beaucoup de bien. Il donne de lui l'opinion la plus avantageuse.?
Rentrée chez nous, son image me suivit dans tous les recoins de la maison. Je descendis dans notre petit jardin; je n'y vis point les fleurs naissantes que le printemps, les autres années, ne faisait point éclore en vain pour moi. L'aventure de Saint-Almont m'occupait tout entière. Je redoutai l'approche de la nuit, et ce n'était pas sans fondement. Te le dirai-je, ma bonne Zoé! je ne pus fermer l'oeil. Henri IV disait: Paris vaut bien une messe. Zoé va peut-être me répondre: ?Voilà bien du bruit pour une messe!?
Adieu, ma toute bonne, ne me gronde point, ou attends pour cela que j'aille te voir sous ton joli berceau de lilas. Je t'en dirai peut-être encore davantage; mais n'en sonne mot à ton mari, il se moquerait de moi, et j'aime encore mieux être grondée que raillée. Adieu.

IV.
BILLET DE ZOé.
Ne manque pas de venir dans trois jours; je réserve pour ce moment ma réponse à ta dernière lettre. Ne manque pas, et arrange-toi pour passer une quinzaine au sein de l'amitié.

V.
AGATHE à ZOé.
Pardonne-le moi, mon amie; mais je ne puis t'aller voir de sit?t. La santé de ma grand'maman est un peu altérée, et la mienne n'est pas des plus parfaites. Ainsi remettons la partie; mais je ne puis différer à t'écrire, au risque, non pas de te déplaire, mais de m'exposer à quelques petits reproches de ta part; mais je n'aime point à passer pour meilleure que je ne suis en effet. La bonne nature, en me donnant l'existence, n'a pas voulu faire de moi une prude ni une dévote, quoique depuis cette fatale grand'messe, je n'aie pas manqué d'en entendre une chaque jour.
Je te vois d'ici rire sous cape. Eh bien! me voilà! que veux-tu? Mais, écoute, il était bien naturel de désirer savoir des nouvelles de Saint-Almont depuis son nouvel état. Ma bonne maman m'avait instruite qu'il se bornait à être prêtre habitué dans la même paroisse où je l'avais vu débuter; en conséquence je dis à ma seconde mère: ?Permettez-moi d'aller entendre sa seconde messe; je suis curieuse d'apprendre s'il est un peu revenu de cette révolution qu'il éprouva en montant
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 25
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.