deux doigts de terre. Ensuite, il présenta le cordon au
prêtre, qui s'en ceignit fortement les reins, pour rappeler ainsi les liens
dont le Sauveur fut chargé dans sa Passion.
La Teuse restait debout, jalouse, blessée, faisant effort pour se taire;
mais la langue lui démangeait tellement, qu'elle reprit bientôt:
- Frère Archangias est venu... Il n'aura pas un enfant, à l'école,
aujourd'hui. Il est parti comme un coup de vent, pour aller tirer les
oreilles à cette marmaille, dans les vignes... Vous ferez bien de le voir.
Je crois qu'il a quelque chose à vous dire.
L'abbé Mouret lui imposa silence de la main. Il n'avait plus ouvert les
lèvres. Il récitait les prières consacrées, en prenant le manipule, qu'il
baisa, avant de le mettre à son bras gauche, au- dessous du coude,
comme un signe indiquant le travail des bonnes oeuvres, et en croisant
sur sa poitrine, après l'avoir également baisée, l'étole, symbole de sa
dignité et de sa puissance. La Teuse dut aider Vincent à fixer la
chasuble, qu'elle attacha à l'aide de minces cordons, de façon à ce
qu'elle ne retombât pas en arrière.
- Sainte Vierge! j'ai oublié les burettes! balbutia-t-elle, se précipitant
vers l'armoire. Allons, vite, galopin!
Vincent emplit les burettes, des fioles de verre grossier, tandis qu'elle
se hâtait de prendre un manuterge propre, dans un tiroir. L'abbé Mouret,
tenant le calice de la main gauche par le noeud, les doigts de la main
droite posés sur la bourse, salua profondément, sans ôter sa barrette, un
Christ de bois noir pendu au-dessus du buffet. L'enfant s'inclina
également; puis, passant le premier, tenant les burettes recouvertes du
manuterge, il quitta la sacristie, suivi du prêtre qui marchait les yeux
baissés, dans une dévotion profonde.
II
L'église, vide, était toute blanche, par cette matinée de mai. La corde,
près du confessionnal, pendait de nouveau, immobile. La veilleuse,
dans un verre de couleur, brûlait, pareille à une tache rouge, à droite du
tabernacle, contre le mur. Vincent, après avoir porté les burettes sur la
crédence, revint s'agenouiller à gauche, au bas du degré, tandis que le
prêtre, ayant salué le Saint- Sacrement d'une génuflexion sur le pavé,
montait à l'autel et étalait le corporal, au milieu duquel il plaçait le
calice. Puis, ouvrant le Missel, il redescendit. Une nouvelle génuflexion
le plia; il se signa à voix haute, joignit les mains devant la poitrine,
commença le grand drame divin, d'une face toute pâle de foi et
d'amour.
- Introibo ad altare Dei.
- Ad Deum qui laetificat juventutem meam, bredouilla Vincent, qui
mangea les répons de l'antienne et du psaume, le derrière sur les talons,
occupé à suivre la Teuse rôdant dans l'église.
La vieille servante regardait un des cierges d'un air inquiet. Sa
préoccupation parut redoubler, pendant que le prêtre, incliné
profondément, les mains jointes de nouveau, récitait le Confiteor. Elle
s'arrêta, se frappant à son tour la poitrine, la tête penchée, continuant à
guetter le cierge. La voix grave du prêtre et les balbutiements du
servant alternèrent encore pendant un instant.
- Dominus vobiscum.
- Et cum spiritu tuo.
Et le prêtre, élargissant les mains, puis les rejoignant, dit avec une
componction attendrie:
- Oremus...
La Teuse ne put tenir davantage. Elle passa derrière l'autel, atteignit le
cierge, qu'elle nettoya, du bout de ses ciseaux. Le cierge coulait. Il y
avait déjà deux grandes larmes de cire perdues. Quand elle revint,
rangeant les bancs, s'assurant que les bénitiers n'étaient pas vides, le
prêtre, monté à l'autel, les mains posées au bord de la nappe, priait à
voix basse. Il baisa l'autel.
Derrière lui, la petite église restait blafarde des pâleurs de la matinée.
Le soleil n'était encore qu'au ras des tuiles. Les Kyrie, eleison coururent
comme un frisson dans cette sorte d'étable, passée à la chaux, au
plafond plat, dont on voyait les poutres badigeonnées. De chaque côté,
trois hautes fenêtres, à vitres claires, fêlées, crevées pour la plupart,
ouvraient des jours d'une crudité crayeuse. Le plein air du dehors
entrait là brutalement, mettant à nu toute la misère du Dieu de ce
village perdu. Au fond, au-dessus de la grande porte, qu'on n'ouvrait
jamais, et dont des herbes barraient le seuil, une tribune en planches, à
laquelle on montait par une échelle de meunier, allait d'une muraille à
l'autre, craquant sous les sabots les jours de fête. Près de l'échelle, le
confessionnal, aux panneaux disjoints, était peint en jaune citron. En
face, à côté de la petite porte, se trouvait le baptistère, un ancien
bénitier posé sur un pied en maçonnerie. Puis, à droite et à gauche, au
milieu, étaient plaqués deux minces autels, entourés de balustrades de
bois. Celui de gauche, consacré à la sainte Vierge, avait une grande
Mère de Dieu en plâtre doré, portant royalement une couronne d'or
fermée sur ses
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