La Daniella, Vol. I. | Page 8

George Sand
Il ��tait toujours mis avec une propret�� scrupuleuse et un certain go?t. Il avait toujours ces excellentes mani��res et cet air de parfaite distinction qu'il avait pris on ne sait o��, dans sa propre nature apparemment; mais il ��tait plus pale qu'autrefois et paraissait plus m��lancolique.
--Voyons, lui dis-je, tu m'as ��crit plusieurs lettres pour me demander de mes nouvelles, et je t'en remercie, mais sans jamais me parler de toi, et je m'en plains. Tu me dis aujourd'hui que tu as r��ussi �� te maintenir dans ton travail, dans tes id��es et dans ta conduite. Mais tu as quelque chose comme vingt-trois ans, et, avec cette pers��v��rance dont tu viens de faire preuve, tu dois avoir acquis quelque talent. Il faut que j'aille chez toi voir ta peinture.
--Non, non! s'��cria-t-il, pas encore! Je n'ai aucun talent, aucune individualit��; j'ai voulu proc��der logiquement et me munir, avant tout, d'un certain savoir. Je tiens maintenant le n��cessaire, et je vais essayer de me trouver, de me d��couvrir moi-m��me. Mais, pour cela, il faut une toute autre vie que celle que je m��ne, et qui est horrible, je ne vous le cacherai plus; si horrible pour moi, si antipathique �� ma nature, si contraire �� ma sant��, que, sachant votre amiti�� pour moi, je n'ai pas voulu vous ��crire l'��tat de souffrance o��, depuis deux ans, mon coeur et mon ame sont plong��s. Je pars, je vais passer un mois chez mon oncle et ensuite un ou deux ans en Italie.
--Ah! ah! tu as donc le pr��jug�� de l'Italie, toi? Tu crois que l'on y devient artiste plus qu'ailleurs?
--Non, je n'ai pas ce pr��jug��-l��. On ne devient artiste nulle part quand on ne doit pas l'��tre; mais on m'a tant parl�� du ciel de Rome, que je veux m'y r��chauffer de l'humidit�� de Paris, o�� je tourne au champignon. Et puis, Rome, c'est le monde ancien qu'il faut conna?tre; c'est la voie de l'humanit�� dans le pass��; c'est comme un vieux livre qu'il faut avoir lu pour comprendre l'histoire de l'art; et vous savez que je suis logique. Il est possible qu'apr��s cela je retourne dans mon village ��pouser la dindonni��re, accessible �� tout propri��taire de ma mince ��toffe. Je dois donc me maintenir dans ce milieu: faire tout mon possible pour devenir un homme distingu��, et en m��me temps, tout mon possible pour accepter sans fiel et sans abattement le plus humble r?le dans la vie. Rester dans cet ��quilibre ne me co?te pas trop, car je suis tiraill�� alternativement par deux tendances tr��s-oppos��es: soif d'id��al et soif de repos. Je vais voir laquelle l'emportera, et, quoi qu'il arrive, je vous en ferai part.
--Attends un peu, lui dis-je comme il prenait son chapeau pour s'en aller. Si tu ��chouais dans la peinture, ne tenterais-tu pas quelque autre carri��re? La musique...
--Oh! non. Jamais la musique! Pour l'aimer, il faudra que je l'oublie longtemps; mais, plut?t que d'en vivre, j'aimerais mieux mourir: je vous ai dit pourquoi.
--Il faut pourtant que tu sois artiste, puisque tu as la haine des choses positives, et que tu n'as pas fait d'��tudes classiques. Il m'est venu une id��e en lisant tes lettres, c'est que tu pourrais bien avoir quelque talent de r��daction.
--��tre homme de lettres! moi? Non! je n'ai fait qu'entrevoir et deviner le monde et la vie sociale. R��diger n'est pas ��crire, il faut penser, et je suis un homme de r��verie ou un homme d'action; je ne suis pas un homme de r��flexion. Je conclus trop vite, et, d'ailleurs, je ne sais conclure que par rapport �� moi-m��me. La litt��rature doit ��tre l'enseignement direct ou indirect d'un id��al. Songez donc que je n'ai pas trouv�� le mien!
--N'importe! veux-tu me faire une promesse s��rieuse?
--Vous avez le droit d'exiger tout ce qui d��pend de ma volont��!
--Eh bien, tu feras pour moi, pour moi seul, si tu veux, car je te promets le secret, si tu l'exiges, une relation d��taill��e de ton voyage, de tes impressions, quelles qu'elles soient, et m��me de tes aventures, s'il t'arrive des aventures. Et cela pendant un an, sans lacune de plus de huit jours.
--Je vois pourquoi vous me demandez cela. Vous voulez me forcer �� m'examiner dans le d��tail de la vie et �� me rendre compte de ma propre existence.
--Pr��cis��ment. Je trouve que, sous l'empire de certaines r��solutions prises �� des intervalles assez ��loign��s et rigidement observ��es, tu oublies de vivre, et tu restes dans une attente perp��tuelle qui te prive des petits bonheurs de la jeunesse. En te rendant mieux compte de tes vrais besoins et de tes l��gitimes aspirations, ta arriveras insensiblement �� des formules plus sages.
--Vous me trouvez donc fou?
--C'est l'��tre toujours que de ne l'��tre jamais un peu.
--Je ferai ce que vous m'ordonnerez. Cela me sera peut-��tre bon; mais, si, �� force de caresser mes propres pens��es, j'allais
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