La Daniella, Vol. I. | Page 3

George Sand
la voir. Un jour, je trouvai un cercueil sur la porte de sa maison. Elle ��tait morte sans que j'eusse appris qu'elle ��tait malade. Dans nos campagnes sans chemins et sans mouvement, vous savez, trois lieues, c'est une distance. Cet ��v��nement eut beaucoup d'influence sur ma vie et sur mon caract��re, d��j�� ��branl�� par la mort de mon p��re. Je perdis toute gaiet��. Je ne fus pas consol�� ou fortifi�� par une tendresse d��licate ou intelligente. Mon oncle me disait qu'il ��tait ridicule de pleurer, parce que notre Juliette ��tait au ciel et plus �� envier qu'�� plaindre. Je n'en doutais pas; mais cela ne m'enseignait pas le moyen de vivre sans affection, sans int��r��t et sans but. Bref, je restai longtemps taciturne et accabl��, et, j'ai beau faire, je me sens toujours m��lancolique et port�� �� l'indolence.
--Cette indolence est-elle le r��sultat de tes r��flexions sur le n��ant de la vie, ou un ��tat de langueur physique? Je te trouve pale, et tu parais plus ag�� que tu ne l'es. Es-tu d'une bonne sant��?
--Je n'ai jamais ��t�� malade, et j'ai physiquement de l'activit��. Je suis un marcheur infatigable; j'aimerais peut-��tre les voyages; mais mon malheur est de ne pas bien savoir ce que j'aime, car je ne me connais point, et je suis paresseux �� m'interroger.
--Tu me parlais cependant de tes projets: donc, tu n'as pas quitt�� ta province et tu n'es pas venu �� Paris sans avoir quelque d��sir ou quelque r��solution d'utiliser ta vie?
--Utiliser ma vie! dit le jeune homme apr��s un moment de silence; oui, voil�� bien le fond de ma pens��e. J'ai besoin que vous me disiez qu'un homme n'a pas le droit de vivre pour lui seul. C'est pour que vous me disiez cela que je suis ici; et, quand vous me l'aurez bien fait comprendre et sentir, je chercherai �� quoi je suis propre, si toutefois je suis propre �� quelque chose.
--Voil�� ce qu'il ne faut jamais r��voquer en doute. Si tu es bien p��n��tr�� de l'id��e du devoir, tu dois te dire qu'il n'y a d'incapables que ceux qui veulent l'��tre.
Nous causames ensemble une demi-heure, et je trouvai en lui une grande docilit�� de coeur et d'esprit. Je le regardais avec attention, et je remarquais la d��licate et p��n��trante beaut�� de sa figure. Plut?t petit que grand, brun jusqu'�� en ��tre jaune, un peu trop inculte de chevelure, et d��j�� pourvu d'une moustache tr��s-noire, il offrait, au premier aspect, quelque chose de sombre, de n��glig�� ou de maladif; mais un doux sourire illuminait parfois cette figure bilieuse, et des ��clairs de vive sensibilit�� donnaient �� ses yeux, un peu petits et enfonc��s, un rayonnement extraordinaire. Ce n'��taient l�� ni le sourire, ni le regard d'une jeunesse avort��e et infructueuse. Il y avait, dans la simplicit�� de son ��locution, une nettet�� douce et comme une habitude de distinction qui ne sentaient pas trop le village. Enfin, bien qu'en effet il ne s?t peut-��tre rien, il n'��tait ��tranger �� rien, et me paraissait apte et prompt �� tout comprendre.
--Vous avez raison, me dit-il en me quittant; mieux vaudrait le suicide r��el que le suicide de l'ame par nonchalance et par poltronnerie. Je manque d'un grand d��sir de vivre; mais je ne suis pourtant pas d��go?t�� maladivement de la vie, et je sens que, ne voulant pas m'en d��barrasser, je dois l'utiliser selon mes forces. Le scepticisme du si��cle ��tait venu me blesser jusqu'au fond de nos campagnes. Je m'��tais dit que, entre l'ambition des vanit��s de la vie et le m��pris de toute activit��, il n'y avait peut-��tre plus de milieu pour les enfants de ce temps-ci. Vous me dites qu'il y en a encore. Eh bien, je chercherai, je r��fl��chirai, et, quand, avec cette esp��rance, je me serai de nouveau consult��, je reviendrai vous voir.
Il passa cependant six mois �� Paris sans prendre aucun parti et sans vouloir me reparler de lui-m��me. Il venait souvent chez nous, il ��tait de la famille; il nous aimait et nous l'aimions; car nous avions promptement d��couvert en lui des qualit��s essentielles, une grande droiture, de la discr��tion et de la fiert��, de la d��licatesse dans tous les sentiments et dans toutes les id��es, enfin quelque chose de calme, de sage et de pur, je ne dirai pas au-dessus de son age, car cet age devrait ��tre, dans les conditions normales de la vie, une sereine ��closion de ce que nous avons de meilleur dans l'ame, mais au-dessus de ce que l'on pouvait attendre d'un enfant livr�� de si bonne heure �� sa propre impulsion.
Ce qui me frappait particuli��rement chez Jean Valreg, c'��tait une modestie s��rieuse et r��elle. Cette premi��re jeunesse est presque toujours pr��somptueuse par instinct ou par r��flexion. Elle a des ambitions ��go?stes ou g��n��reuses qui lui font illusion sur ses propres forces. Chez notre jeune
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