des enfants, la nappe blanche. La pièce était tiède, recueillie, avec l'enfoncement verdatre du jardin.
Comme Marthe, calmée par cette paix, ?tait en souriant le couvercle de la soupière, un bruit se fit dans le corridor. Rose, effarée, accourut, en bulbutiant:
--Monsieur l'abbé Faujas est là. II
Mouret fit un geste de contrariété. Il n'attendait réellement son locataire que le surlendemain, au plus t?t. Il se levait vivement, lorsque l'abbé Faujas parut à la porte, dans le corridor. C'était un homme grand et fort, une face carrée, aux traits larges, au teint terreux. Derrière lui, dans son ombre, se tenait une femme agée qui lui ressemblait étonnamment, plus petite, l'air plus rude. En voyant la table mise, ils eurent tous les deux un mouvement d'hésitation; ils reculèrent discrètement, sans se retirer. La haute figure noire du prêtre faisait une tache de deuil sur la gaieté du mur blanchi à la chaux.
--Nous vous demandons pardon de vous déranger, dit-il à Mouret. Nous venons de chez monsieur l'abbé Bourrette; il a d? vous prévenir....
--Mais pas du tout! s'écria Mouret. L'abbé n'en fait jamais d'autres; il a toujours l'air de descendre du paradis.... Ce matin encore, monsieur, il m'affirmait que vous ne seriez pas ici avant deux jours.... Enfin, il va falloir vous installer tout de même. L'abbé Faujas s'excusa. Il avait une voix grave, d'une grande douceur dans la chute des phrases. Vraiment, il était désolé d'arriver à un pareil moment. Quand il eut exprimé ses regrets, sans bavardage, en dix paroles nettement choisies, il se tourna pour payer le commissionnaire qui avait apporté sa malle. Ses grosses mains bien faites tirèrent d'un pli de sa soutane une bourse, dont on n'aper?ut que les anneaux d'acier; il fouilla un instant, palpant du bout des doigts, avec précaution, la tête baissée. Puis, sans qu'on e?t vu la pièce de monnaie, le commissionnaire s'en alla. Lui, reprit de sa voix polie:
--Je vous en prie, monsieur, remettez-vous à table.... Votre domestique nous indiquera l'appartement. Elle m'aidera à monter ceci.
Il se baissait déjà pour prendre une poignée de la malle. C'était une petite malle de bois, garantie par des coins et des bandes de t?le; elle paraissait avoir été réparée, sur un des flancs, à l'aide d'une traverse de sapin. Mouret resta surpris, cherchant des yeux les autres bagages du prêtre; mais il n'aper?ut qu'un grand panier, que la dame agée tenait à deux mains, devant ses jupes, s'entêtant, malgré la fatigue, à ne pas le poser à terre. Sous le couvercle soulevé, parmi des paquets de linge, passaient le coin d'un peigne enveloppé dans du papier, et le cou d'un litre mal bouché.
--Non, non, laissez cela, dit Mouret en poussant légèrement la malle du pied. Elle ne doit pas être lourde; Rose la montera bien toute seule.
Il n'eut sans doute pas conscience du secret dédain qui per?ait dans ses paroles. La dame agée le regarda fixement de ses yeux noirs; puis, elle revint à la salle à manger, à la table servie, qu'elle examinait depuis qu'elle était là. Elle passait d'un objet à l'autre, les lèvres pincées. Elle n'avait pas prononcé une parole. Cependant, l'abbé Faujas consentit à laisser la malle. Dans la poussière jaune du soleil qui entrait par la porte du jardin, sa soutane rapée semblait toute rouge; des reprises en brodaient les bords; elle était très-propre, mais si mince, si lamentable, que Marthe, restée assise jusque-là avec une sorte de réserve inquiète, se leva à son tour. L'abbé, qui n'avait jeté sur elle qu'un coup d'oeil rapide, aussit?t détourné, la vit quitter sa chaise, bien qu'il ne par?t nullement la regarder.
--Je vous en prie, répéta-t-il, ne vous dérangez pas; nous serions désolés de troubler votre d?ner.
--Eh bien! c'est cela, dit Mouret qui avait faim. Rose va vous conduire. Demandez-lui tout ce dont vous aurez besoin.... Installez-vous, installez-vous à votre aise.
L'abbé Faujas, après avoir salué, se dirigeait déjà vers l'escalier, lorsque Marthe s'approcha de son mari, en murmurant:
--Mais, mon ami, tu ne songes pas....
--Quoi donc? demanda-t-il, voyant qu'elle hésitait.
--Les fruits, tu sais bien.
--Ah! diantre! c'est vrai, il y a les fruits, dit-il d'un ton consterné. Et, comme l'abbé Faujas revenait, l'interrogeant du regard:
--Je suis vraiment bien contrarié, monsieur, reprit-il. Le père Bourrette est s?rement un digne homme, seulement il est facheux que vous l'ayez chargé de votre affaire.... Il n'a pas pour deux liards de tête.... Si nous avions su, nous aurions tout préparé. Au lieu que nous voilà maintenant avec un déménagement à faire.... Vous comprenez, nous utilisions les chambres. Il y a là-haut, sur le plancher, toute notre récolte de fruits, des figues, des pommes, du raisin....
Le prêtre l'écoutait avec une surprise que sa grande politesse ne réussissait plus à cacher. --Oh! mais ?a ne sera pas long, continua Mouret. En dix minutes, si vous voulez bien prendre la peine d'attendre, Rose va débarrasser
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