La Confession de Talleyrand, V. 1-5 | Page 5

Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord
grec. Bon chat, bon rat.--C'est le Talion de la Loi de Mo?se.
On me donne de l'Altesse. Je suis moins, et peut-��tre plus; on peut m'appeler Monseigneur, ou mieux, Monsieur de Talleyrand.
J'ai vu treize gouvernements: Louis XV, Louis XVI, la R��volution, la R��publique, le Directoire, le Consulat, l'Empire et les Cent-Jours, le Gouvernement provisoire de 1814, les deux Restaurations, Charles X, et Louis-Philippe, qui me regardait comme un augure. Je me donnai le plaisir de lui dire: ?H��! h��! Sire, c'est le treizi��me.? Et je comptais bien ne pas rester sur ce vilain nombre.
Quelque temps avant, j'avais rencontr�� le g��n��ral d'Andign�� dans un salon, et comme nous ��changions quelques souvenirs du temps jadis, on ne disait plus le bon temps, je lui demandai combien de fois il avait ��t�� en prison.
--Douze fois.
--C'est pr��cis��ment le nombre de mes serments; c'est ��tonnant comme les choses se rencontrent.
Le serment engage les actes et n'engage pas les convictions. C'est une contremarque qu'on prend dans une salle de spectacle afin de pouvoir y rentrer. L'homme absurde est celui qui ne change jamais. Renier une erreur, est-ce une apostasie? Toujours la m��me tige avec une autre fleur. Le Cam��l��on est l'embl��me de la politique. La Diplomatie a pour devise le Stylo et Gladio des Commentaires de C��sar. Je pr��f��rerais une Clef, ou la devise de Ninon: Une Girouette: ?Ce n'est pas elle qui change, c'est le vent.? Toutefois il ne faut pas prendre la Girouette pour une boussole et la Rose des vents pour un tourniquet.
J'ai rendu �� C��sar ce qui ��tait �� la R��publique et �� Louis ce qui ��tait �� C��sar. Je ne demande pas de compliment; mais si j'ai servi les pouvoirs sans m'attacher et sans me d��vouer, j'ai servi la France sans sacrifier ses int��r��ts aux gouvernements qui lui donnaient leur ��tiquette, comme je l'��crivais �� Montalivet:
?Ma politique a toujours ��t�� fran?aise, nationale et raisonnable, selon la n��cessit�� des temps, et j'ai ��t�� fid��le aux personnes aussi longtemps qu'elles ont ob��i au sens commun. Si vous jugez toutes mes actions �� la lumi��re de cette r��gle, vous verrez que, malgr�� les apparences, on n'y trouvera aucune contradiction et que j'ai toujours ��t�� cons��quent.?
Les rois changent de ministres, j'ai chang�� de rois.
J'ai toujours tenu mes affaires en ordre et mes comptes en r��gle, Doit et Avoir, c'est de principe. Je ne r��pondrai pas comme ce ministre �� qui on demandait: ?Pardonnez-vous �� vos ennemis?--Je n'en ai plus, je les ai tous fait fusiller.? Malgr�� tout, je ne suis pas en reste avec eux; chaque chose sera dite ici, en son lieu et �� son heure. Mais ce n'est pas quand la pi��ce se joue et que les acteurs sont encore sur la sc��ne qu'il convient d'exposer l'action, de d��m��ler l'intrigue et de d��masquer les personnages dont le masque est mieux que leur visage. Aujourd'hui la v��rit�� serait dangereuse pour quelques-uns, scandaleuse pour d'autres, inutile pour tout le monde.
Mes M��moires suffiront. Il me semble que ma voix est un dernier ��cho qui r��sonnera avec une vibration tombale dans la sonorit�� du vide. Alors le rideau sera tomb�� sur les com��dies sinistres et les trag��dies ridicules. On ��coutera sans passion ces histoires devenues l��gendaires dont les acteurs et les t��moins auront disparu.
Je pr��vois les jugements auxquels je dois m'attendre des g��n��rations qui suivront la mienne. Je me suis amus�� �� revivre ma vie politique, et on ne manquera pas de dire que c'est une oeuvre de patience--pour les lecteurs,--quand on mettra au jour cette solennelle et supr��me mystification.
Pour moi, je ne crains ni les pamphl��taires, ni les imb��ciles, et on sait quel cas je fais de l'opinion. Je suis un vieux parapluie sur lequel il pleut depuis un demi-si��cle, et quelques gouttes de plus ou de moins ne me font rien.
J'ai un orgueil �� moi qui me met au-dessus des hommes et des ��v��nements, du malheur m��me, une insensibilit�� qui me rend invuln��rable du c?t�� du coeur. Il n'appartient �� personne de m'humilier et de me faire souffrir. Cet orgueil et cette insensibilit�� m'ont pr��serv�� de la vanit�� et du sentiment pendant ma vie, et quand on est mort, on n'entend pas sonner les cloches. Ainsi soit-il.

MON BR��VIAIRE
Principes Et Maximes.
On a fait de moi un diseur de bons mots. Je n'ai jamais dit un bon mot de ma vie; mais je tache de dire, apr��s m?re r��flexion, sur beaucoup de choses, le mot juste.
Je ne puis accepter cette r��putation de faiseur de Nouvelles �� la main au gros sel plus ou moins attique, telles que le Mercure du dix-neuvi��me si��cle les a recueillies dans le Talleyrandana et l'Album perdu. Il e?t ��t�� plus simple de les ajouter �� un ouvrage que j'ai sur ma table et que je m'amuse souvent �� feuilleter: L'Improvisateur, Recueil d'anecdotes et de bons mots, en 21 volumes in-12. C'est un R��pertoire
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