dont les radicaux sont infiniment anciens; cette langue, en exprimant les pensées des vieux ages, s'est modelée sur elles, et elle en a gardé l'empreinte qu'elle transmet de siècle en siècle. Le sens intime d'un radical peut quelquefois révéler une ancienne opinion ou un ancien usage; les idées se sont transformées et les souvenirs se sont évanouis; mais les mots sont restés, immuables témoins de croyances qui ont disparu. Le contemporain de Cicéron pratique des rites dans les sacrifices, dans les funérailles, dans la cérémonie du mariage; ces rites sont plus vieux que lui, et ce qui le prouve, c'est qu'ils ne répondent plus aux croyances qu'il a. Mais qu'on regarde de près les rites qu'il observe ou les formules qu'il récite, et on y trouvera la marque de ce que les hommes croyaient quinze ou vingt siècles avant lui.
LIVRE PREMIER.
ANTIQUES CROYANCES.
CHAPITRE PREMIER.
CROYANCES SUR L'?ME ET SUR LA MORT.
Jusqu'aux derniers temps de l'histoire de la Grèce et de Rome, on voit persister chez le vulgaire un ensemble de pensées et d'usages qui dataient assurément d'une époque très-éloignée et par lesquels nous pouvons apprendre quelles opinions l'homme se fit d'abord sur sa propre nature, sur son ame, sur le mystère de la mort.
Si haut qu'on remonte dans l'histoire de la race indo-européenne, dont les populations grecques et italiennes sont des branches, on ne voit pas que cette race ait jamais pensé qu'après cette courte vie tout f?t fini pour l'homme. Les plus anciennes générations, bien avant qu'il y e?t des philosophes, ont cru à une seconde existence après celle-ci. Elles ont envisagé la mort, non comme une dissolution de l'être, mais comme un simple changement de vie.
Mais en quel lieu et de quelle manière se passait cette seconde existence? Croyait-on que l'esprit immortel, une fois échappé d'un corps, allait en animer un autre? Non; la croyance à la métempsycose n'a jamais pu s'enraciner dans les esprits des populations gréco-italiennes; elle n'est pas non plus la plus ancienne opinion des Aryas de l'Orient, puisque les hymnes des Védas sont en opposition avec elle. Croyait-on que l'esprit montait vers le ciel, vers la région de la lumière? Pas davantage; la pensée que les ames entraient dans une demeure céleste, est d'une époque relativement assez récente en Occident, puisqu'on la voit exprimée pour la première fois par le po?te Phocylide; le séjour céleste ne fut jamais regardé que comme la récompense de quelques grands hommes et des bienfaiteurs de l'humanité. D'après les plus vieilles croyances des Italiens et des Grecs, ce n'était pas dans un monde étranger à celui-ci que l'ame allait passer sa seconde existence; elle restait tout près des hommes et continuait à vivre sous la terre. [1]
On a même cru pendant fort longtemps que dans cette seconde existence l'ame restait associée au corps. Née avec lui, la mort ne l'en séparait pas; elle s'enfermait avec lui dans le tombeau.
Si vieilles que soient ces croyances, il nous en est resté des témoins authentiques. Ces témoins sont les rites de la sépulture, qui ont survécu de beaucoup à ces croyances primitives, mais qui certainement sont nés avec elles et peuvent nous les faire comprendre.
Les rites de la sépulture montrent clairement que lorsqu'on mettait un corps au sépulcre, on croyait en même temps y mettre quelque chose de vivant. Virgile, qui décrit toujours avec tant de précision et de scrupule les cérémonies religieuses, termine le récit des funérailles de Polydore par ces mots: ? Nous enfermons l'ame dans le tombeau. ? La même expression se trouve dans Ovide et dans Pline le Jeune; ce n'est pas qu'elle répond?t aux idées que ces écrivains se faisaient de l'ame, mais c'est que depuis un temps immémorial elle s'était perpétuée dans le langage, attestant d'antiques et vulgaires croyances. [2]
C'était une coutume, à la fin de la cérémonie funèbre, d'appeler trois fois l'ame du mort par le nom qu'il avait porté. On lui souhaitait de vivre heureuse sous la terre. Trois fois on lui disait: Porte-toi bien. On ajoutait: Que la terre te soit légère. [3] Tant on croyait que l'être allait continuer à vivre sous cette terre et qu'il y conserverait le sentiment du bien-être et de la souffrance! On écrivait sur le tombeau que l'homme reposait là; expression qui a survécu à ces croyances et qui de siècle en siècle est arrivée jusqu'à nous. Nous l'employons encore, bien qu'assurément personne aujourd'hui ne pense qu'un être immortel repose dans un tombeau. Mais dans l'antiquité on croyait si fermement qu'un homme vivait là, qu'on ne manquait jamais d'enterrer avec lui les objets dont on supposait qu'il avait besoin, des vêtements, des vases, des armes. On répandait du vin sur sa tombe pour étancher sa soif; on y pla?ait des aliments pour apaiser sa faim. On égorgeait des chevaux et des esclaves, dans la pensée que ces êtres enfermés
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