de beaucoup d'autres. Ces soldats fran?ais riaient et chantaient toute la journ��e; ils avaient moins de vingt-cinq ans, et leur g��n��ral en chef, qui en avait vingt-sept', passait pour l'homme le plus ag�� de son arm��e. Cette gaiet��, cette jeunesse, cette insouciance, r��pondaient d'une fa?on plaisante aux pr��dications furibondes des moines qui, depuis six mois, annon?aient du haut de la chaire sacr��e que les Fran?ais ��taient des monstres, oblig��s, sous peine de mort, �� tout br?ler et �� couper la t��te �� tout le monde. A cet effet, chaque r��giment marchait avec la guillotine en t��te.
Dans les campagnes l'on voyait sur la porte des chaumi��res le soldat fran?ais occup�� �� bercer le petit enfant de la ma?tresse du logis, et presque chaque soir quelque tambour, jouant du violon, improvisait un bal. Les contredanses se trouvant beaucoup trop savantes et compliqu��es pour que les soldats, qui d'ailleurs ne les savaient gu��re, pussent les apprendre aux femmes du pays, c'��taient celles-ci qui montraient aux jeunes Fran?ais la Monf��rine, la Sauteuse et autres danses italiennes.
Les officiers avaient ��t�� log��s, autant que possible, chez les gens riches; ils avaient bon besoin de se refaire. Par exemple, un lieutenant, nomm�� Robert, eut un billet de logement pour le palais de la marquise del Dongo. Cet officier, jeune r��quisitionnaire assez leste, poss��dait pour tout bien, en entrant dans ce palais, un ��cu de six francs qu'il venait de recevoir �� Plaisance. Apr��s le passage du pont de Lodi, il prit �� un bel officier autrichien tu�� par un boulet un magnifique pantalon de nankin tout neuf, et jamais v��tement ne vint plus �� propos. Ses ��paulettes d'officier ��taient en laine et le drap de son habit ��tait cousu �� la doublure des manches pour que les morceaux tinssent ensemble; mais il y avait une circonstance plus triste: les semelles de ses souliers ��taient en morceaux de chapeau ��galement pris sur le champ de bataille, au-del�� du pont de Lodi. Ces semelles improvis��es tenaient au-dessus des souliers par des ficelles fort visibles, de fa?on que lorsque le majordome de la maison se pr��senta dans la chambre du lieutenant Robert pour l'inviter �� d?ner avec Mme la marquise, celui-ci fut plong�� dans un mortel embarras. Son voltigeur et lui pass��rent les deux heures qui les s��paraient de ce fatal d?ner �� tacher de recoudre un peu l'habit et �� teindre en noir avec de l'encre les malheureuses ficelles des souliers. Enfin le moment terrible arriva.
- De la vie je ne fus plus mal �� mon aise, me disait le lieutenant Robert, ces dames pensaient que j'allais leur faire peur, et moi j'��tais plus tremblant qu'elles. Je regardais mes souliers et ne savais comment marcher avec grace. La marquise del Dongo, ajoutait-il, ��tait alors dans tout l'��clat de sa beaut��: vous l'avez connue avec ses yeux si beaux et d'une douceur ang��lique, et ses jolis cheveux d'un blond fonc�� qui dessinaient si bien l'ovale de cette figure charmante. J'avais dans ma chambre une H��rodiade de L��onard de Vinci, qui semblait son portrait. Dieu voulut que je fusse tellement saisi de cette beaut�� surnaturelle que j'en oubliai mon costume. Depuis deux ans je ne voyais que des choses laides et mis��rables dans les montagnes du pays de G��nes: j'osai lui adresser quelques mots sur mon ravissement.
"Mais j'avais trop de sens pour m'arr��ter longtemps dans le genre complimenteur. Tout en tournant mes phrases, je voyais, dans une salle �� manger toute de marbre, douze laquais et des valets de chambre v��tus avec ce qui me semblait alors le comble de la magnificence. Figurez-vous que ces coquins-l�� avaient non seulement de bons souliers, mais encore des boucles d'argent. Je voyais du coin de l'oeil tous ces regards stupides fix��s sur mon habit, et peut-��tre aussi sur mes souliers, ce qui me per?ait le coeur. J'aurais pu d'un mot faire peur �� tous ces gens, mais comment les mettre �� leur place sans courir le risque d'effaroucher les dames? car la marquise pour se donner un peu de courage, comme elle me l'a dit cent fois depuis, avait envoy�� prendre au couvent, o�� elle ��tait pensionnaire en ce temps-l��, Gina del Dongo, soeur de son mari, qui fut depuis cette charmante comtesse de Pietranera: personne dans la prosp��rit�� ne la surpassa par la gaiet�� et l'esprit aimable, comme personne ne la surpassa par le courage et la s��v��rit�� d'ame dans la fortune contraire.
"Gina, qui pouvait alors avoir treize ans, mais qui en paraissait dix-huit, vive et franche, comme vous savez avait tant de peur d'��clater de rire en pr��sence d�� mon costume, qu'elle n'osait pas manger; la marquise, au contraire, m'accablait de politesses contraintes; elle voyait fort bien dans mes yeux des mouvements d'impatience. En un mot, je faisais une sotte figure, je machais le m��pris, chose qu'on dit impossible �� un Fran?ais.
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