Mast'-André. Cicio but le vin que lui servit la cuisinière, et après avoir salué poliment la compagnie, il appela ses chèvres et sortit d'un pas nonchalant.
Il n'y a point d'être plus passionné que le Sicilien. Sa passion peut le conduire en quelques heures jusqu'à la folie, et cependant il cache le serpent qui le ronge sous une triple cuirasse de dissimulation, comme si l'aveu de son trouble le devait conduire aux galères. Quand il eut quitté le notaire et sa fille, Cicio parcourut la ville et porta son lait à ses pratiques, en recueillant les nouvelles du jour et causant avec les chambrières d'un ton dégagé. Vers dix heures, sa tournée étant achevée, il se composa un maintien diplomatique pour passer devant le factionnaire de la porte d'Ortigia, et prit le chemin de son village; mais lorsqu'il fut seul avec son troupeau dans le désert de marbre du quartier de Neapolis, il leva ses bras en l'air et poussa des cris déchirants.
--Misérable que je suis! dit-il. Qu'avais-je besoin de suivre ce damné notaire et de voir cette fille plus belle que la fa?ade d'un temple? ? saint Fran?ois, saint Thimoléon! secourez-moi. éteignez le feu qui me br?le. Adieu la paix de mon ame! ma ga?té, mon repos, ma vie paisible! ? ruines de la mourante Syracuse, contemplez mon désespoir. L'amour, comme un impitoyable Sarrasin, s'est glissé dans mon coeur, et porte la flamme et le fer dans tous les coins. Affreux ravage, accident lamentable! Qu'on me jette sur la tête un de ces blocs de pierre. O Cicio, pauvre Cicio! te voilà dans l'enfer! Enlèveras-tu ta ma?tresse pour la conduire dans ta cabane, et la faire coucher avec son linge fin sur une botte de paille? Quel curé voudra jamais bénir un époux en guenilles? Verras-tu celle que tu adores se marier avec un autre? Meurs plut?t mille fois avant que ce jour sanglant se lève! Qu'un tremblement de terre t'engloutisse en même temps que le notaire, sa fille, et Syracuse entière!
Deux laveuses qui passaient le long du grand aqueduc entendirent les cris et les imprécations du pauvre Cicio.
--C'est un amoureux, dit l'une d'elles, et sa demi-folie le travaille. N'approchons pas; son mal est contagieux.
Les deux laveuses dirigèrent du c?té de Cicio l'index et le petit doigt de la main gauche, afin de chasser la mauvaise influence.
--Que la peste d'amour lui soit douce! dirent-elles ensuite; c'est un joli gar?on.
Cicio, qui entendit des voix, reprit aussit?t sa contenance diplomatique et, renfon?ant la douleur dans les replis cachés de son coeur, il se rendit au village de Floridia.
Le lendemain et les jours suivants, le petit chevrier ne manqua pas de revenir à sept heures du matin chez le notaire, et jamais on n'e?t deviné qu'il f?t capable d'adresser des discours pathétiques aux objets inanimés, tant il paraissait ma?tre de lui-même. Gheta déploya son savoir et ses graces, en sautant dans un cerceau, en désignant la plus belle personne de la compagnie, le plus riche seigneur ou la servante la plus paresseuse, au grand divertissement de toute la maison de Mast'-André. Elle marqua même l'heure qui sonnait à la pendule, en frappant la terre de son pied droit, si bien que Cicio aurait pu se faire passer pour un sorcier. Quand le répertoire des tours et gentillesses était épuisé, on y revenait avec un plaisir toujours nouveau, et à la fin de chaque séance la belle Angélica donnait une récompense au petit chevrier, en le priant de ramener le lendemain la chèvre merveilleuse.
Un jour que Cicio arriva chez Mast'-André plus t?t qu'à l'ordinaire, il trouva la jeune fille assise sous le vieux myrthe. Sans doute ce tête-à-tête n'était pas l'effet du hasard seul, et les dialogues muets avaient préparé l'occasion, car Cicio ne parut pas étonné de cette rencontre. Il courut tout droit à sa ma?tresse, et lui dit avec un accent plein d'énergie:
--Cangia, un mot de votre bouche pour confirmer ce que m'ont dit vos yeux.
--Cent mots ne seraient pas assez, répondit la jeune fille. Mes yeux n'ont point menti: je suis à toi.
--Et mes haillons, ma misère, mon ignorance, mon vil métier?
--Tes haillons, je ne les vois pas. Mire-toi dans mon ame, et tu te verras avec le manteau d'Alexandre et la couronne de César. A quoi donc penses-tu? je suis assise sur une chaise de paille, et tu me parais monté sur un tr?ne d'ivoire. Non, ce n'est point un vil métier que le tien. De grands hommes ont mené leurs chèvres aux champs du temps de nos pères. Ton ignorance, dis-tu? ne t'en embarrasse pas: je t'apprendrai à lire quand tu seras mon mari. Je te peignerai les cheveux; je te donnerai un habit noir, une cravate rouge et un pantalon de nankin. Qu'ya-t-il entre nous? la volonté de Mast-André: rien de plus. Reculerons-nous devant un seul obstacle? Tu
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