s'il signait l'engagement de laisser
la gestion et l'administration de ses biens à la compagnie de Jésus.
Seldon signa, mais en ajoutant à l'acte rédigé par l'habile révérend père:
«QUAND JE SERAI SORTI DE LA BASTILLE», phrase omise,
peut-être à dessein, car seule elle pouvait obliger la compagnie à tenir
ses engagements. L'élève des Jésuites avait battu ses maîtres.
Aussi facilement qu'ils avaient obtenu la lettre de cachet, les bons pères
obtinrent du roi l'ordre de mise en liberté. Seldon, n'ayant plus de
fortune lui appartenant, ne put se marier; mais, en revanche, il fit
attendre longtemps le capital de son bien à ses délicats libérateurs.
Les étrangers n'étaient pas, on le voit, à l'abri de la Bastille. Très
souvent même les rois de France rendirent aux souverains voisins le
service d'embastiller leurs sujets qui avaient espéré trouver aide et
protection sur le sol français. C'est ainsi que Claude-Louis Caffe fut
enfermé à la Bastille et remis ensuite aux autorités sardes pour être
interné au fort de Miollans, prison d'État du duc de Savoie.
Citons encore les noms de Mahé de la Bourdonnais, du maréchal
Bassompierre, de Voltaire qui y vint deux fois en 1717 et en 1726, de
l'avocat Linguet qui fit une si curieuse description de ce lugubre édifice;
enfin du prévôt de Beaumont qui, soit à Vincennes, à Charenton ou à la
Bastille, resta vingt-deux ans au secret et dont la famille ignora le sort
pendant dix années.
Il faudrait bien des pages pour citer seulement le nom de tous ceux qui
furent enfermés et moururent dans cette geôle. Que serait-ce, s'il était
possible d'y ajouter celui de tous ceux qu'on y fit disparaître sans qu'il
restât la moindre trace de leur passage.
Il était, en effet, peu facile d'en sortir, moins encore de s'en
évader.--Les plus célèbres évasions furent celles d'Antoine de
Chabanne, comte de Dammartin, sous Louis XI, pendant la Ligue du
bien public (1465); celle de l'abbé de Bucquoy (1709), qui s'était
également évadé du For-l'Evêque et qui écrivit en Hanovre l'histoire de
ses évasions (1719); enfin celles de Latude et de son camarade d'Alègre,
dans la nuit du 25 février 1756.
Il existe au Musée Carnavalet une estampe de la fin de 1791 ou du
commencement de 1792, éditée à Paris, chez Bance, rue Saint-Severin,
nº 25, représentant Latude et d'Alègre dans leur prison et au-dessous on
lit cette légende:
SECONDE ÉVASION DE LA BASTILLE DE M. DELATUDE,
INGÉNIEUR
Effectuée la nuit du 25 au 26 février 1756.
«M. Delatude[5], détenu à la Bastille dans une même chambre avec M.
d'Alègre, étoit résolu de tout tenter pour pouvoir s'en évader. Dix piés
d'épaisseur des murs de cette prison, des grilles de fer aux fenêtres et à
la cheminée, une multitude de gardes, des fossés souvent pleins d'eau,
entourés de murs fort élevés; ces terribles obstacles ne furent point
capables de le détourner de cet étonnant dessein. Mais à peine son
génie actif et pénétrant, aidé des connaissances profondes qu'il avoit
dans les mathématiques lui eut-il fait découvrir qu'il y avoit entre son
plancher et celui de la chambre d'au-dessous de lui un intervalle ou
tambour de 4 piés et demi de hauteur, lieu qu'il jugea propre à resserrer
tout ce qu'il falloit furtivement créer et établir pour rendre sa fuite
possible et celle de son compagnon, qu'il ne doute plus du succès. Ce
fut alors que tout hors de lui il montra à M. d'Alègre sa male qui
contenoit en chemises et autres effets en toile, de quoi leur produire
1.400 piés de cordes indispensables pour former les échelles sans
lesquelles leur fuite ne pouvoit avoir lieu: et c'est là le moment où
l'artiste a placé le sujet de son estampe. D'après cela, l'industrie la plus
surprenante, ainsi que la plus constamment et la plus habilement
dirigée, met M. Delatude en état, en dix-huit mois de tems, de se voir
possesseur des échelle de corde et de bois dont il ne pouvoit se passer:
il a de même, avec une peine et des souffrances qu'on se représenteroit
difficilement, enlevé les quatre grilles de fer du haut de la cheminée,
desquelles il s'en réserve deux pour percer les murs des fossés de sortie,
etc., etc., etc.
[Note 5: Dans ce texte, qui se trouve au bas de l'estampe conservée au
Musée Carnavalet, l'orthographe des noms et des mots a été respectée.]
[Illustration: Fig. 9.--Seconde évasion du chevalier de Latude et de son
ami d'Alègre, dans la nuit du 25 au 26 février 1756.]
[Illustration: Fig. 10.--Portrait du chevalier de Latude, par Vestier.]
«Nos deux prisonniers arrivés enfin au moment périlleux de leur départ,
avec le secours de leurs échelles de corde et de bois, favorisé par une
corde de réserve particulière, réussissent bientôt à transporter par la
cheminée de leur chambre sur la tour appelée du
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