LIllustration, Samedi le 15 Aout 1914, 72e Année, No. 3729 | Page 2

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si vaste minute,
j'aurais voulu pouvoir prendre d'un coup, à la façon d'un objectif, pour
les garder toujours, ces types de beauté française, ces figures modelées
par l'héroïsme et sculptées par le sacrifice... il me fut impossible,... et je
n'en vis bien qu'une, mais que je tiens, que je conserve à jamais fixée en
moi, «épreuve» indélébile, celle de l'officier, capitaine ou chef
d'escadron, je ne sais (car je n'avais pas de temps à perdre aux manches
et aux galons), qui tenait la droite en allant aux Champs-Elysées, un
grand homme d'un blond brûlé, à moustache gauloise, qui me trouva lui
aussi, comme moi je l'avais discerné, et qui rendit à mon élan, et voulut
bien, tout en passant rester un peu avec moi, pendant toute la durée du
regard que le mien lui demandait... Ses yeux ne me quittèrent que
quand il lui aurait fallu détourner la tête, cesser de l'avoir droite et
haute... Mais que de profondeur méditative, douce et puissante à la fois
ils avaient, battus et cernés par l'ombre violette du casque!
C'est ainsi que le 2 août, vers deux heures, cet officier et moi, qui ne
nous connaissions pas, nous avons été présentés l'un à l'autre pour
devenir amis.
J'ai la conviction que nous nous reverrons.

Mardi 4 août. A la Chambre.--Toutes les tribunes sont pleines d'un
public immobile et comme pétrifié par l'attente. L'hémicycle est
presque vide... Aux cadrans de la double horloge encastrée dans la
muraille l'aiguille marque 3 heures. Le président paraît. Grave, chargé
du poids de son recueillement, abîmé dans son obsession, avec cette
lenteur, cette roideur automatique et cette absence momentanée du
corps rejeté par l'esprit qu'investissent les grandes pensées, il monte,
comme s'il gravissait une pénible pente, l'escalier en haut duquel
l'attend plus solennel et plus majestueux le fauteuil curule, plaqué de
bronze. Arrivé là il reste debout un instant, l'extrémité des mains
touchant le bord de la table... paraissant déjà essayer et subir en
lui-même l'acoustique de son émotion... Et voici que, un par un, par

files, par petits groupes, les députés gagnent leurs bancs et occupent
leurs places, dans un silence militaire. Pour l'observer, ce spontané
silence, approprié au caractère des explosions qui couvent, ils ne se
sont certes pas donné le mot dans une sous-commission... Ils obéissent
simplement à cette consigne de l'instinct moral qui, dans les grandes
circonstances, commande tout bas ce qu'il faut faire; aussi cette entrée
lourde, ordonnée, solide, cette espèce de liturgie muette, communique à
la scène un incroyable aspect de cérémonie religieuse, sous ce jour gris
et austère d'église, dans cette enceinte où les colonnes sont rangées
circulairement, en forme de choeur ainsi que dans un temple...
... Et puis la splendeur prévue, indubitable et délirante de la séance
historique s'étend et s'accomplit dans un cortège et une harmonie de
beautés cornéliennes. Dix fois, vingt fois... on ne les comptait plus... les
six cents députés, galvanisés par l'éloquence de Deschanel et de Viviani
traduisant, célébrant en formules d'une noblesse lapidaire les
sentiments éternels qui font l'honneur des nations et des hommes,--se
levèrent ensemble, comme si l'on avait crié: «En avant!», se dressèrent
debout, poussant une même clameur d'amour et de liberté. Ils partaient
comme des salves... Ils ne se voyaient probablement pas,... délivrés de
leurs sens et montés au-dessus d'eux-mêmes dans cette patriotique
ascension, mais nous, venus là pour témoigner à leurs côtés sans avoir
le droit de le faire comme eux, nous les voyions, nous étions ravagés
par leur enthousiasme que renforçait notre silence... et nous entendions
sortir de leur bouche les cris retenus dans nos poitrines. Oh! plus tard,
quand ce sera fini, qu'un petit-fils de David, qu'un peintre jeune,
inconnu, et tourmenté par son génie naissant, fasse de cette séance un
impérissable tableau! Qu'il donne au Serment du Jeu de Paume un
pendant de grandeur antique, afin que nous puissions posséder, fixées
et nommées sur la toile, dans le Louvre et le Panthéon de nos annales,
toutes ces figures baisées par la flamme divine, toutes ces faces
embrasées, pareilles à des buissons ardents, tous ces bras levés, toutes
ces mains ouvertes et ces poings brandis, tous ces hommes debout,
tumultueux comme un orage et paisibles comme des rocs! En attendant,
la salle du Parlement est, à partir de cette séance, transformée,
nettoyée... Elle n'est plus la même; elle a subi les «réparations»
nécessaires, elle est remise à neuf pour un siècle et l'on n'y pourra plus

jamais dire et proférer certaines mauvaises paroles de division,
d'injustice et de haine sans qu'aussitôt elles ne détonnent et ne
retombent mortes sur ceux qui les auraient lancées... car les murs sont
désormais couverts des devises marmoréennes, des inscriptions saintes
et des cris libérateurs... _Plus de partis! Rien que des Français! Une
seule âme!_... qui, ce jour du 4 août 1914, ont été
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