LEtourdi | Page 8

Molière
vous le rendre ? Il faut... J'ai toujours peur qu'on nous vienne surprendre : Ce serait fait de moi, s'il savait ce discours. Il faut, dis-je, pour rompre à toute chose cours, Acheter sourdement l'esclave idolatrée, Et la faire passer en une autre contrée. Anselme a grand succès auprès de Trufaldin ; Qu'il aille l'acheter pour vous dès ce matin : Après, si vous voulez en mes mains la remettre, Je connais des marchands, et puis bien vous promettre D'en retirer l'argent qu'elle pourra co?ter, Et malgré votre fils, de la faire écarter ; Car enfin, si l'on veut qu'à l'hymen il se range, A cet amour naissant il faut donner le change ; Et de plus, quand bien même il serait résolu, Qu'il aurait pris le joug que vous avez voulu, Cet autre objet, pouvant réveiller son caprice, Au mariage encor peut porter préjudice.
- Pandolfe -
C'est très bien raisonner ; ce conseil me pla?t fort... Je vois Anselme ; va, je m'en vais faire effort Pour avoir promptement cette esclave funeste, Et la mettre en tes mains pour achever le reste.
- Mascarille -
(seul.)
Bon ; allons avertir mon ma?tre de ceci. Vive la fourberie, et les fourbes aussi.
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Scène X. - Hippolyte, Mascarille.
- Hippolyte -
Oui, tra?tre, c'est ainsi que tu me rends service ! Je viens de tout entendre, et voir ton artifice : A moins que de cela, l'eussé-je soup?onné ? Tu couches d'imposture (3), et tu m'en as donné. Tu m'avais promis, lache, et j'avais lieu d'attendre Qu'on te verrait servir mes ardeurs pour Léandre ; Que du choix de Lélie, où l'on veut m'obliger, Ton adresse et tes soins sauraient me dégager ; Que tu m'affranchirais du projet de mon père : Et cependant ici tu fais tout le contraire ! Mais tu t'abuseras ; je sais un s?r moyen Pour rompre cet achat où tu pousses si bien ; Et je vais de ce pas...
- Mascarille -
Ah ! que vous êtes prompte ! La mouche tout d'un coup à la tête vous monte (4), Et, sans considérer s'il a raison ou non, Votre esprit contre moi fait le petit démon. J'ai tort, et je devrais, sans finir mon ouvrage, Vous faire dire vrai, puisque ainsi l'on m'outrage.
- Hippolyte -
Par quelle illusion penses-tu m'éblouir ? Tra?tre, peux-tu nier ce que je viens d'ou?r ?
- Mascarille -
Non. Mais il faut savoir que tout cet artifice Ne va directement qu'à vous rendre service ; Que ce conseil adroit, qui semble être sans fard, Jette dans le panneau l'un et l'autre vieillard (5) ; Que mon soin par leurs mains ne veut avoir Célie, Qu'à dessein de la mettre au pouvoir de Lélie ; Et faire que, l'effet de cette invention Dans le dernier excès portant sa passion, Anselme, rebuté de son prétendu gendre, Puisse tourner son choix du c?té de Léandre.
- Hippolyte -
Quoi ! tout ce grand projet, qui m'a mise en courroux, Tu l'as formé pour moi, Mascarille ?
- Mascarille -
Oui, pour vous. Mais puisqu'on reconna?t si mal mes bons offices, Qu'il me faut de la sorte essuyer vos caprices, Et que, pour récompense, on s'en vient, de hauteur, Me traiter de faquin, de lache, d'imposteur, Je m'en vais réparer l'erreur que j'ai commise, Et dès ce même pas rompre mon entreprise.
- Hippolyte -
(l'arrêtant.)
Eh ! ne me traite pas si rigoureusement, Et pardonne aux transports d'un premier mouvement.
- Mascarille -
Non, non, laissez-moi faire ; il est en ma puissance De détourner le coup qui si fort vous offense. Vous ne vous plaindrez point de mes soins désormais ; Oui, vous aurez mon ma?tre, et je vous le promets.
- Hippolyte -
Eh ! mon pauvre gar?on, que ta colère cesse ! J'ai mal jugé de toi, j'ai tort, je le confesse.
(Tirant sa bourse.)
Mais je veux réparer ma faute avec ceci. Pourrais-tu te résoudre à me quitter ainsi ?
- Mascarille -
Non, je ne le saurais, quelque effort que je fasse ; Mais votre promptitude est de mauvaise grace. Apprenez qu'il n'est rien qui blesse un noble coeur Comme quand il peut voir qu'on le touche en l'honneur.
- Hippolyte -
Il est vrai, je t'ai dit de trop grosses injures : Mais que ces deux louis guérissent tes blessures.
- Mascarille -
Eh ! tout cela n'est rien ; je suis tendre à ces coups. Mais déjà je commence à perdre mon courroux ; Il faut de ses amis endurer quelque chose.
- Hippolyte -
Pourras-tu mettre à fin ce que je me propose Et crois-tu que l'effet de tes desseins hardis Produise à mon amour le succès que tu dis ?
- Mascarille -
N'ayez point pour ce fait l'esprit sur des épines. J'ai des ressorts tout prêts pour diverses machines ; Et quand ce stratagème à nos voeux manquerait, Ce qu'il ne ferait pas, un autre le ferait.
- Hippolyte -
Crois qu'Hippolyte au moins ne sera pas ingrate.
- Mascarille
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