LAvare | Page 2

Molière
m'aimez d'un
véritable amour, et que vous me serez fidèle : je n'en veux point du tout douter, et je
retranche mon chagrin aux appréhensions du blâme qu'on pourra me donner.
- Valère -
Mais pourquoi cette inquiétude ?
- Élise -
Je n'aurais rien à craindre si tout le monde vous voyait des yeux dont je vous vois ; et je
trouve en votre personne de quoi avoir raison aux choses que je fais pour vous. Mon
coeur, pour sa défense, a tout votre mérite, appuyé du secours d'une reconnaissance où le
ciel m'engage envers vous. Je me représente à toute heure ce péril étonnant qui
commença de nous offrir aux regards l'un de l'autre ; cette générosité surprenante qui
vous fit risquer votre vie, pour dérober la mienne à la fureur des ondes ; ces soins pleins
de tendresse que vous me fîtes éclater après m'avoir tirée de l'eau, et les hommages
assidus de cet ardent amour que ni le temps ni les difficultés n'ont rebuté, et qui, vous
faisant négliger et parents et patrie, arrête vos pas en ces lieux, y tient en ma faveur votre
fortune déguisée, et vous a réduit, pour me voir, à vous revêtir de l'emploi de domestique
de mon père. Tout cela fait chez moi, sans doute, un merveilleux effet ; et c'en est assez, à
mes yeux, pour me justifier l'engagement où j'ai pu consentir ; mais ce n'est pas assez
peut-être pour le justifier aux autres, et je ne suis pas sûre qu'on entre dans mes
sentiments.
- Valère -
De tout ce que vous avez dit, ce n'est que par mon seul amour que je prétends auprès de
vous mériter quelque chose ; et quant aux scrupules que vous avez, votre père lui-même
ne prend que trop de soin de vous justifier à tout le monde, et l'excès de son avarice, et la
manière austère dont il vit avec ses enfants, pourraient autoriser des choses plus étranges.
Pardonnez-moi, charmante Élise, si j'en parle ainsi devant vous. Vous savez que, sur ce
chapitre, on n'en peut pas dire de bien. Mais enfin, si je puis, comme je l'espère, retrouver
mes parents, nous n'aurons pas beaucoup de peine à nous les rendre favorables. J'en
attends des nouvelles avec impatience, et j'en irai chercher moi-même, si elles tardent à
venir.
- Élise -
Ah! Valère, ne bougez d'ici, je vous prie, et songez seulement à vous bien mettre dans

l'esprit de mon père.
- Valère -
Vous voyez comme je m'y prends, et les adroites complaisances qu'il m'a fallu mettre en
usage pour m'introduire à son service ; sous quel masque de sympathie et de rapports de
sentiments je me déguise pour lui plaire, et quel personnage je joue tous les jours avec lui,
afin d'acquérir sa tendresse. J'y fais des progrès admirables ; et j'éprouve que, pour gagner
les hommes, il n'est point de meilleure voie que de se parer à leurs yeux de leurs
inclinations, que de donner dans leurs maximes, encenser leurs défauts, et applaudir à ce
qu'ils font. On n'a que faire d'avoir peur de trop charger la complaisance ; et la manière
dont on les joue a beau être visible, les plus fins toujours sont de grandes dupes du côté
de la flatterie, et il n'y a rien de si impertinent et de si ridicule qu'on ne fasse avaler,
lorsqu'on l'assaisonne en louanges. La sincérité souffre un peu au métier que je fais ; mais,
quand on a besoin des hommes, il faut bien s'ajuster à eux, et puisqu'on ne saurait les
gagner que par là, ce n'est pas la faute de ceux qui flattent, mais de ceux qui veulent être
flattés.
- Élise -
Mais que ne tâchez-vous aussi de gagner l'appui de mon frère, en cas que la servante
s'avisât de révéler notre secret ?
- Valère -
On ne peut pas ménager l'un et l'autre ; et l'esprit du père et celui du fils sont des choses si
opposées, qu'il est difficile d'accommoder ces deux confidences ensemble. Mais vous, de
votre part, agissez auprès de votre frère, et servez-vous de l'amitié qui est entre vous deux
pour le jeter dans nos intérêts. Il vient. Je me retire. Prenez ce temps pour lui parler, et ne
lui découvrez de notre affaire que ce que vous jugerez à propos.
- Élise -
Je ne sais si j'aurai la force de lui faire cette confidence.
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Scène II. - Cléante, Élise.

- Cléante -
Je suis bien aise de vous trouver seule, ma soeur ; et je brûlais de vous parler, pour
m'ouvrir à vous d'un secret.
- Élise -
Me voilà prête à vous ouïr, mon frère. Qu'avez-vous à me dire ?
- Cléante -
Bien des choses, ma soeur, enveloppées dans un mot. J'aime.
-
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