LAvare | Page 6

Molière
élise qui se font des signes.)
Hé !
(Bas, à part.)
Je crois qu'ils se font signe l'un à l'autre de me voler ma bourse.
(Haut.)
Que veulent dire ces gestes-là ?
- élise -
Nous marchandons, mon frère et moi, à qui parlera le premier, et nous avons tous deux quelque chose à vous dire.
- Harpagon -
Et moi, j'ai quelque chose aussi à vous dire à tous deux.
- Cléante -
C'est de mariage, mon père, que nous désirons vous parler.
- Harpagon -
Et c'est de mariage aussi que je veux vous entretenir.
- élise -
Ah ! mon père !
- Harpagon -
Pourquoi ce cri ? Est-ce le mot, ma fille, ou la chose, qui vous fait peur ?
- Cléante -
Le mariage peut nous faire peur à tous deux, de la fa?on que vous pouvez l'entendre ; et nous craignons que nos sentiments ne soient pas d'accord avec votre choix.
- Harpagon -
Un peu de patience ; ne vous alarmez point. Je sais ce qu'il faut à tous deux, et vous n'aurez, ni l'un ni l'autre, aucun lieu de vous plaindre de tout ce que je prétends faire ; et, pour commencer par un bout,
(à Cléante.)
avez-vous vu, dites-moi, une jeune personne appelée Mariane, qui ne loge pas loin d'ici ?
- Cléante -
Oui, mon père.
- Harpagon-
Et vous ?
- élise -
J'en ai ou? parler.
- Harpagon -
Comment, mon fils, trouvez-vous cette fille ?
- Cléante -
Une fort charmante personne.
- Harpagon -
Sa physionomie ?
- Cléante -
Tout honnête et pleine d'esprit.
- Harpagon -
Son air et sa manière ?
- Cléante -
Admirables, sans doute.
- Harpagon -
Ne croyez-vous pas qu'une fille comme cela mériterait assez que l'on songeat à elle ?
- Cléante -
Oui, mon père.
- Harpagon -
Que ce serait un parti souhaitable ?
- Cléante -
Très souhaitable.
- Harpagon -
Qu'elle a toute la mine de faire un bon ménage ?
- Cléante -
Sans doute.
- Harpagon -
Et qu'un mari aurait satisfaction avec elle ?
- Cléante -
Assurément.
- Harpagon -
Il y a une petite difficulté : c'est que j'ai peur qu'il n'y ait pas, avec elle, tout le bien qu'on pourrait prétendre.
- Cléante -
Ah ! mon père, le bien n'est pas considérable, lorsqu'il est question d'épouser une honnête personne.
- Harpagon -
Pardonnez-moi, pardonnez-moi. Mais ce qu'il y a à dire, c'est que, si l'on n'y trouve pas tout le bien qu'on souhaite, on peut tacher de regagner cela sur autre chose.
- Cléante -
Cela s'entend.
- Harpagon -
Enfin je suis bien aise de vous voir dans mes sentiments ; car son maintien honnête et sa douceur m'ont gagné l'ame, et je suis résolu de l'épouser, pourvu que j'y trouve quelque bien.
- Cléante -
Euh ?
- Harpagon -
Comment ?
- Cléante -
Vous êtes résolu, dites-vous... ?
- Harpagon -
D'épouser Mariane.
- Cléante -
Qui ? Vous, vous ?
- Harpagon -
Oui, moi, moi, moi. Que veut dire cela ?
- Cléante -
Il m'a pris tout à coup un éblouissement, et je me retire d'ici.
- Harpagon -
Cela ne sera rien. Allez vite boire dans la cuisine un grand verre d'eau claire.
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Scène VI. - Harpagon, élise.

- Harpagon -
Voilà de mes damoiseaux flouets (5), qui n'ont non plus de vigueur que des poules. C'est là, ma fille, ce que j'ai résolu pour moi. Quant à ton frère, je lui destine une certaine veuve dont, ce matin, on m'est venu parler ; et, pour toi, je te donne au seigneur Anselme.
- élise -
Au seigneur Anselme ?
- Harpagon -
Oui, Un homme m?r, prudent et sage, qui n'a pas plus de cinquante ans, et dont on vante les grands biens.
- élise -
(faisant une révérence.)
Je ne veux point me marier, mon père, s'il vous pla?t.
- Harpagon -
(contrefaisant élise.)
Et moi, ma petite fille, ma mie, je veux que vous vous mariiez, s'il vous pla?t.
- élise -
(faisant encore la révérence.)
Je vous demande pardon, mon père.
- Harpagon -
(contrefaisant élise.)
Je vous demande pardon, ma fille.
- élise -
Je suis très humble servante au seigneur Anselme ; mais,
(Faisant encore la révérence.)
avec votre permission, je ne l'épouserai point.
- Harpagon -
Je suis votre très humble valet ; mais,
(Contrefaisant élise.)
avec votre permission, vous l'épouserez dès ce soir.
- élise -
Dès ce soir ?
- Harpagon -
Dès ce soir.
- élise -
(faisant encore la révérence.)
Cela ne sera pas, mon père.
- Harpagon -
(contrefaisant encore élise.)
Cela sera, ma fille.
- élise -
Non.
- Harpagon -
Si.
- élise -
Non, vous dis-je.
- Harpagon -
Si, vous dis-je.
- élise -
C'est une chose où vous ne me réduirez point.
- Harpagon -
C'est une chose où je te réduirai.
- élise -
Je me tuerai plut?t que d'épouser un tel mari.
- Harpagon -
Tu ne te tueras point, et tu l'épouseras. Mais voyez quelle audace ! A-t-on jamais vu une fille parler de la sorte à son père ?
- élise -
Mais a-t-on jamais vu un père marier sa fille de la sorte ?
- Harpagon -
C'est un parti où il n'y a rien à redire ! et je gage que tout le monde approuvera mon choix.
- élise -
Et moi, je gage qu'il ne saurait être approuvé d'aucune personne raisonnable.
- Harpagon -
(apercevant Valère de loin.)
Voilà Valère. Veux-tu qu'entre nous deux nous le fassions juge de
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