LArgent | Page 3

Emile Zola
tout d'un coup de la destin��e la plus haute �� la plus mis��rable? Ah! depuis douze ans, qu'il l'avait aim�� et d��fendu, ce r��gime o�� il s'��tait senti vivre, pousser, se gorger de s��ve, ainsi que l'arbre dont les racines plongent dans le terreau qui lui convient. Mais, si son fr��re voulait l'en arracher, si on le retranchait de ceux qui ��puisaient le sol gras des jouissances, que tout f?t donc emport��, dans la grande d��bacle finale des nuits de f��te!
Maintenant, il attendait ses asperges, absent de la salle o�� l'agitation croissait sans cesse, envahi par des souvenirs. Dans une large glace, en face, il venait d'apercevoir son image; et elle l'avait surpris. L'age ne mordait pas sur sa petite personne, ses cinquante ans n'en paraissaient gu��re que trente-huit, il gardait une maigreur, une vivacit�� de jeune homme. M��me, avec les ann��es, son visage noir et creus�� de marionnette, au nez pointu, aux minces yeux luisants, s'��tait comme arrang��, avait pris le charme de cette jeunesse persistante, si souple, si active, les cheveux touffus encore, sans un fil blanc. Et, invinciblement, il se rappelait son arriv��e �� Paris, au lendemain du coup d'��tat, le soir d'hiver o�� il ��tait tomb�� sur le pav��, les poches vides, affam��, ayant toute une rage d'app��tits �� satisfaire. Ah! cette premi��re course �� travers les rues, lorsque, avant m��me de d��faire sa malle, il avait eu le besoin de se lancer par la ville, avec ses bottes ��cul��es, son paletot graisseux, pour la conqu��rir! Depuis cette soir��e, il ��tait souvent mont�� tr��s haut, un fleuve de millions avait coul�� entre ses mains, sans que jamais il e?t poss��d�� la fortune en esclave, ainsi qu'une chose �� soi, dont on dispose, qu'on tient sous clef, vivante, mat��rielle. Toujours le mensonge, la fiction avait habit�� ses caisses, que des trous inconnus semblaient vider de leur or. Puis, voil�� qu'il se retrouvait sur le pav��, comme �� l'��poque lointaine du d��part, aussi jeune, aussi affam��, inassouvi toujours, tortur�� du m��me besoin de jouissances et de conqu��tes. Il avait go?t�� �� tout, et il ne s'��tait pas rassasi��, n'ayant pas eu l'occasion ni le temps, croyait-il, de mordre assez profond��ment dans les personnes et dans les choses. A cette heure, il se sentait cette mis��re d'��tre, sur le pav��, moins qu'un d��butant, qu'auraient soutenu l'illusion et l'espoir. Et une fi��vre le prenait de tout recommencer pour tout reconqu��rir, de monter plus haut qu'il n'��tait jamais mont��, de poser enfin le pied sur la cit�� conquise. Non plus la richesse menteuse de la fa?ade, mais l'��difice solide de la fortune, la vraie royaut�� de l'or tr?nant sur des sacs pleins!
La voix de Moser qui s'��levait de nouveau, aigre et tr��s aigu?, tira un instant Saccard de ses r��flexions.
?L'exp��dition du Mexique co?te quatorze millions par mois, c'est Thiers qui l'a prouv��... Et il faut vraiment ��tre aveugle pour ne pas voir que, dans la Chambre, la majorit�� est ��branl��e. Ils sont trente et quelques maintenant, �� gauche. L'empereur lui-m��me comprend bien que le pouvoir absolu devient impossible, puisqu'il se fait le promoteur de la libert��.?
Pillerault ne r��pondait plus, se contentait de ricaner d'un air de m��pris.
?Oui, je sais, le march�� vous para?t solide, les affaires marchent. Mais attendez la fin.... On a trop d��moli et trop reconstruit, �� Paris, voyez-vous! Les grands travaux ont ��puis�� l'��pargne. Quant aux puissantes maisons de cr��dit qui vous semblent si prosp��res, attendez qu'une d'elles fasse le saut, et vous les verrez toutes culbuter �� la file.... Sans compter que le peuple se remue. Cette Association internationale des travailleurs, qu'on vient de fonder pour am��liorer la condition des ouvriers, m'effraie beaucoup, moi. Il y a, en France, une protestation, un mouvement r��volutionnaire qui s'accentue chaque jour... Je vous dis que le ver est dans le fruit. Tout cr��vera.?
Alors ce fut une protestation bruyante. Ce sacr�� Moser avait sa crise de foie, d��cid��ment. Mais lui-m��me, en parlant, ne quittait pas des yeux la table voisine, o�� Mazaud et Amadieu continuaient, dans le bruit, �� causer tr��s bas. Peu �� peu, la salle enti��re s'inqui��tait de ces longues confidences. Qu'avaient-ils �� se dire, pour chuchoter ainsi? Sans doute, Amadieu donnait des ordres, pr��parait un coup. Depuis trois jours, de mauvais bruits couraient sur les travaux de Suez. Moser cligna les yeux, baissa ��galement la voix.
?Vous savez, les Anglais veulent emp��cher qu'on travaille l��-bas. On pourrait bien avoir la guerre.?
Cette fois, Pillerault fut ��branl��, par l'��normit�� m��me de la nouvelle. C'��tait incroyable, et tout de suite le mot vola de table en table, acqu��rant la force d'une certitude l'Angleterre avait envoy�� un ultimatum, demandant la cessation imm��diate des travaux. Amadieu, ��videmment, ne causait que de ?a avec Mazaud, �� qui il donnait l'ordre de vendre tous ses Suez. Un bourdonnement de panique s'��leva dans l'air charg�� d'odeurs grasses,
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