LArchipel en feu | Page 2

Jules Verne
les marins de Vitylo, ��tendus sur le port �� la fa?on de ces lazzaroni auxquels il faut des heures pour se reposer d'un travail de quelques minutes, se lev��rent-ils, lorsqu'ils virent un de leurs caloyers descendre rapidement vers le village, en agitant les bras.
C'��tait un homme de cinquante �� cinquante-cinq ans, non seulement gros, mais gras de cette graisse que produit l'oisivet��, et dont la physionomie rus��e ne pouvait inspirer qu'une m��diocre confiance.
?Eh! qu'y a-t-il, p��re, qu'y a-t-il?? s'��cria l'un des marins, en courant vers lui.
Le Vitylien parlait de ce ton nasillard qui ferait croire que Nason a ��t�� un des anc��tres des Hell��nes, et dans ce patois maniote, o�� le grec, le turc, l'italien et l'albanais se m��langent, comme s'il e?t exist�� au temps de la tour de Babel.
?Est-ce que les soldats d'Ibrahim ont envahi les hauteurs du Tayg��te? demanda un autre marin, en faisant un geste d'insouciance qui marquait assez peu de patriotisme.
-- �� moins que ce ne soient des Fran?ais, dont nous n'avons que faire! r��pondit le premier interlocuteur.
-- Ils se valent!? r��pliqua un troisi��me.
Et cette r��ponse indiquait combien la lutte, alors dans sa plus terrible p��riode, n'int��ressait que l��g��rement ces indig��nes de l'extr��me P��loponn��se, bien diff��rents des Maniotes du Nord, qui marqu��rent si brillamment dans la guerre de l'Ind��pendance. Mais le gros caloyer ne pouvait r��pliquer ni �� l'un ni �� l'autre. Il s'��tait essouffl�� �� descendre les rapides rampes de la falaise. Sa poitrine d'asthmatique haletait. Il voulait parler, il n'y parvenait pas. Au moins, l'un de ses anc��tres en Hellade, le soldat de Marathon, avant de tomber mort, avait-il pu prononcer la victoire de Miltiade. Mais il ne s'agissait plus de Miltiade ni de la guerre des Ath��niens et des Perses. C'��taient �� peine des Grecs, ces farouches habitants de l'extr��me pointe du Magne.
?Eh! parle donc, p��re, parle donc!? s'��cria un vieux marin, nomm�� Gozzo, plus impatient que les autres, comme s'il e?t devin�� ce que venait annoncer le moine.
Celui-ci parvint enfin �� reprendre haleine. Puis, tendant la main vers l'horizon:
?Navire en vue!? dit-il.
Et, sur ces mots, tous les fain��ants de se redresser, de battre des mains, de courir vers un rocher qui dominait le port. De l��, leur regard pouvait embrasser la pleine mer sur un plus vaste secteur.
Un ��tranger aurait pu croire que ce mouvement ��tait provoqu�� par l'int��r��t que tout navire, arrivant du large, doit naturellement inspirer �� des marins fanatiques des choses de la mer. Il n'en ��tait rien, ou, plut?t, si une question d'int��r��t pouvait passionner ces indig��nes, c'��tait �� un point de vue tout sp��cial.
En effet, au moment o�� s'��crit -- non au moment o�� se passait cette histoire -- le Magne est encore un pays �� part au milieu de la Gr��ce, redevenue royaume ind��pendant de par la volont�� des puissances europ��ennes, signataires du trait�� d'Andrinople de 1829. Les Maniotes, ou tout au moins ceux de ce nom qui vivent sur ces pointes allong��es entre les golfes, sont rest��s �� demi barbares, plus soucieux de leur libert�� propre que de la libert�� de leur pays. Aussi cette langue extr��me de la Mor��e inf��rieure a- t-elle ��t��, de tout temps, presque impossible �� r��duire. Ni les janissaires turcs, ni les gendarmes grecs n'ont pu en avoir raison. Querelleurs, vindicatifs, se transmettant, comme les Corses, des haines de familles, qui ne peuvent s'��teindre que dans le sang, pillards de naissance et pourtant hospitaliers, assassins, lorsque le vol exige l'assassinat, ces rudes montagnards ne s'en disent pas moins les descendants directs des Spartiates; mais, enferm��s dans ces ramifications du Tayg��te, o�� l'on compte par milliers de ces petites citadelles ou ?pyrgos? presque inaccessibles, ils jouent trop volontiers le r?le ��quivoque de ces routiers du moyen age dont les droits f��odaux s'exer?aient �� coups de poignard et d'escopette.
Or, si les Maniotes, �� l'heure qu'il est, sont encore des demi- sauvages, il est ais�� de s'imaginer ce qu'ils devaient ��tre, il y a cinquante ans. Avant que les croisi��res des batiments �� vapeur n'eussent singuli��rement enray�� leurs d��pr��dations sur mer, pendant le premier tiers du ce si��cle, ce furent bien les plus d��termin��s pirates que les navires de commerce pussent redouter sur toutes les ��chelles du Levant.
Et pr��cis��ment, le port de Vitylo, par sa situation �� l'extr��mit�� du P��loponn��se, �� l'entr��e de deux mers, par sa proximit�� de l'?le de C��rigotto, ch��re aux forbans, ��tait bien plac�� pour s'ouvrir �� tous ces malfaiteurs qui ��cumaient l'Archipel et les parages voisins de la M��diterran��e. Le point de concentration des habitants de cette partie du Magne portait plus sp��cialement alors le nom de pays de Kakovonni, et les Kakovonniotes, �� cheval sur cette pointe que termine le cap Matapan, se trouvaient �� l'aise pour op��rer. En mer, ils attaquaient les navires. �� terre, ils les attiraient par de faux signaux. Partout, ils les pillaient
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