pour sa nourriture et faisait venir du vin par demi-pi��ce. Son plaisir ��tait de traiter ses connaissances, et ses d?ners ��taient excellents. Si on la complimentait d'��tre riche, elle ne s'en d��fendait pas beaucoup. On lui avait souvent entendu dire: ?Je ne poss��de pas de rentes, mais j'ai tout ce dont j'ai besoin. Si je voulais davantage, je l'aurais.?
D'ailleurs, jamais la moindre allusion �� son pass��, �� son pays ou �� sa famille, n'avait ��t�� surprise. Elle ��tait tr��s bavarde, mais, quand elle avait bien caus��, elle n'avait rien dit que du mal de son prochain. Elle devait pourtant avoir vu le monde et savait beaucoup de choses. Tr��s d��fiante, elle se barricadait chez elle comme dans une forteresse. Jamais elle ne sortait le soir; on savait qu'elle s'enivrait r��guli��rement �� son d?ner et qu'elle se couchait apr��s. Rarement on avait vu des ��trangers chez elle: quatre ou cinq fois une dame et un jeune homme, et une autre fois deux messieurs: un vieux tr��s d��cor�� et un jeune. Ces derniers ��taient venus dans une voiture magnifique.
En somme, on l'estimait peu. Ses propos ��taient souvent choquants et singuliers dans la bouche d'une femme de son age. On l'avait entendue donner �� une jeune fille les plus d��testables conseils. Un charcutier de Bougival, g��n�� dans son commerce, lui avait cependant fait la cour. Elle l'avait repouss�� en disant que se marier une fois ��tait suffisant. �� diverses reprises on avait vu venir des hommes chez elle. D'abord un jeune, qui avait l'air d'un employ�� du chemin de fer, puis un grand brun assez vieux, v��tu d'une blouse et qui paraissait tr��s m��chant. On supposait que l'un et l'autre ��taient ses amants.
Tout en interrogeant, le commissaire r��sumait par ��crit les d��positions, et il en ��tait l�� lorsque arriva le juge d'instruction. Il amenait avec lui le chef de la police de s?ret�� et un de ses agents.
M. Daburon, que ses amis ont vu avec une profonde surprise donner sa d��mission pour aller planter ses choux au moment o�� se dessinait sa fortune, ��tait alors un homme de trente-huit ans, bien fait de sa personne, sympathique malgr�� sa froideur, d'une physionomie douce et un peu triste. Cette tristesse lui ��tait rest��e d'une grande maladie qui deux ans auparavant avait failli l'emporter.
Juge d'instruction depuis 1859, il s'��tait vite acquis une brillante r��putation. Laborieux, patient, dou�� d'un sens subtil, il savait avec une p��n��tration rare d��m��ler l'��cheveau de l'affaire la plus embrouill��e, et, au milieu de mille fils, saisir le fil conducteur. Nul mieux que lui, arm�� d'une implacable logique, ne pouvait r��soudre ces terribles probl��mes o�� l'X est le coupable. Habile �� d��duire du connu �� l'inconnu, il excellait �� grouper les faits et �� r��unir en un faisceau de preuves accablantes les circonstances les plus futiles et en apparence les plus indiff��rentes.
Avec tant et de si pr��cieuses qualit��s, il ne paraissait cependant pas n�� pour ses terribles fonctions. Il ne les exer?ait qu'en fr��missant, se d��fiant de l'entra?nement de ses immenses pouvoirs. L'audace lui manquait pour les coups de th��atre risqu��s qui font ��clater la v��rit��.
Il avait ��t�� long �� s'accoutumer �� certaines pratiques employ��es sans scrupules par les plus rigoristes de ses confr��res. Ainsi il lui r��pugnait de tromper m��me un pr��venu et de lui tendre des pi��ges. On disait de lui au parquet: ?C'est un trembleur.? Le fait est qu'au seul souvenir des erreurs judiciaires connues, ses cheveux se dressaient sur sa t��te. Ce qu'il lui fallait, c'��tait non la conviction, non les plus probables pr��somptions, mais la certitude absolue. Pas de repos pour lui jusqu'au jour o�� l'accus�� ��tait forc�� de courber le front devant l'��vidence. Si bien qu'un substitut lui reprochait en riant de chercher non plus des coupables, mais des innocents.
Le chef de la police de s?ret�� n'��tait autre que le c��l��bre G��vrol, lequel ne manquera pas de jouer un r?le important dans les drames de nos neveux. C'est assur��ment un habile homme, mais la pers��v��rance lui manque et il est sujet �� se laisser aveugler par une incroyable obstination. S'il perd une piste, il ne peut consentir �� l'avouer, encore moins �� revenir sur ses pas. D'ailleurs, plein d'audace et de sang-froid, il est impossible �� d��concerter. D'une force hercul��enne cach��e sous des apparences gr��les, il n'a jamais h��sit�� �� affronter les plus dangereux malfaiteurs.
Mais sa sp��cialit��, sa gloire, son triomphe, c'est une m��moire des physionomies, si prodigieuse qu'elle passe les bornes du croyable. A-t-il vu une figure cinq minutes, c'est fini, elle est cas��e, elle lui appartient. Partout, en tout temps, il la reconna?tra. Les impossibilit��s de lieux, les invraisemblances de circonstances, les plus incroyables d��guisements ne le d��routeront pas. Cela tient, pr��tend-il, �� ce que d'un homme il ne voit, il ne regarde que les yeux. Il reconna?t le regard sans se pr��occuper des traits.
L'exp��rience
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