LAbbesse de Castro | Page 9

Stendhal
sa chambre et alluma sa lampe. Ce moment fut d?licieux pour Jules, qui honteux de sa d?marche et comme pour se cacher m?me dans la profonde nuit, s'?tait coll? au tronc ?norme d'un de ces ch?nes verts aux formes bizarres qui existent encore aujourd'hui vis-…-vis le palais Campireali.
Dans sa lettre, Jules racontait avec la plus parfaite simplicit? la r?primande humiliante qui lui avait ?t? adress?e par le p?re d'H?l?ne."Je suis pauvre, il est vrai, continuait-il, et vous vous figureriez difficilement tout l'exc?s de ma pauvret?. Je n'ai que ma maison que vous avez peut-?tre remarqu?e sous les ruines de l'aqueduc d'Albe; autour de la maison se trouve un jardin que je cultive moi-m?me, et dont les herbes me nourrissent. Je poss?de encore une vigne qui est afferm?e trente ?cus par an. Je ne sais, en v?rit?, pourquoi je vous aime; certainement je ne puis vous proposer de venir partager ma mis?re. Et cependant, si vous ne m'aimez point, la vie n'a plus aucun prix pour moi; il est inutile de vous dire que je la donnerais mille fois pour vous. Et cependant, avant votre retour du couvent, cette vie n'?tait point infortun?e: au contraire, elle ?tait remplie des r?veries les plus brillantes. Ainsi je puis dire que la vue du bonheur m'a rendu malheureux. Certes, alors personne au monde n'e–t os? m'adresser les propos dont votre p?re m'a fl?tri; mon poignard m'e–t fait prompte justice. Alors, avec mon courage et mes armes, je m'estimais l'?gal de tout le monde; rien ne me manquait. Maintenant tout est bien chang?: je connais la crainte. C'est trop ?crire; peut-?tre me m?prisez-vous. Si, au contraire, vous avez quelque piti? de moi, malgr? les pauvres habits qui me couvrent, vous remarquerez que tous les soirs, lorsque minuit sonne au couvent des Capucins au sommet de la colline, je suis cach? sous le grand ch?ne, vis-…-vis la fen?tre que je regarde sans cesse, parce que je suppose qu'elle est celle de votre chambre. Si vous ne me m?prisez pas comme le fait votre p?re, jetez-moi une des fleurs du bouquet, mais prenez garde qu'elle ne soit entra?n?e sur une des corniches ou sur un des balcons de votre palais."
Cette lettre fut lue plusieurs fois; peu … peu les yeux d'H?l?ne se remplirent de larmes; elle consid?rait avec attendrissement ce magnifique bouquet dont les fleurs ?taient li?es avec un fil de soie tr?s fort. Elle essaya d'arracher une fleur mais ne put en venir … bout, puis elle fut saisie d'un remords. Parmi les jeunes filles de Rome, arracher une fleur, mutiler d'une fa?on quelconque un bouquet donn? par l'amour, c'est s'exposer … faire mourir cet amour. Elle craignait que Jules ne s'impatient?t, elle courut … sa fen?tre; mais, en y arrivant, elle songea tout … coup qu'elle ?tait trop bien vue, la lampe remplissait la chambre de lumi?re. H?l?ne ne savait plus quel signe elle pouvait se permettre; il lui semblait qu'il n'en ?tait aucun qui ne dit beaucoup trop.
Honteuse, elle rentra dans sa chambre en courant. Mais le temps se passait, tout … coup il lui vint une id?e qui la jeta dans un trouble inexprimable: Jules allait croire que, comme son p?re, elle m?prisait sa pauvret?! Elle vit un petit ?chantillon de marbre pr?cieux d?pos? sur la table, elle le noua dans son mouchoir, et jeta ce mouchoir au pied du ch?ne vis-…-vis sa fen?tre. Ensuite, elle fit signe qu'on s'?loign?t; elle entendit Jules lui ob?ir; car, en s'en allant, il ne cherchait plus … d?rober le bruit de ses pas. Quand il eut atteint le sommet de la ceinture de rochers qui s?pare le lac des derni?res maisons d'Albano, elle l'entendit chanter des paroles d'amour elle lui fit des signes d'adieu, cette fois moins timides, puis se mit … relire sa lettre.
Le lendemain et les jours suivants, il y eut des lettres et des entrevues semblables; mais, comme tout se remarque dans un village italien, et qu'H?l?ne ?tait de bien loin le parti le plus riche du pays, le seigneur de Campireali fut averti que tous les soirs, apr?s minuit, on apercevait de la lumi?re dans la chambre de sa fille; et, chose bien autrement extraordinaire, la fen?tre ?tait ouverte, et m?me H?l?ne s'y tenait comme si elle n'e–t ?prouv? aucune crainte des zinzare (sorte de cousins, extr?mement incommodes et qui g?tent fort les belles soir?es de la campagne de Rome. Ici je dois de nouveau solliciter l'indulgence du lecteur. Lorsque l'on est tent? de conna?tre les usages des pays ?trangers, il faut s'attendre … des id?es bien saugrenues, bien diff?rentes des n“tres). Le seigneur de Campireali pr?para son arquebuse et celle de son fils. Le soir, comme onze heures trois quarts sonnaient, il avertit Fabio, et tous les deux se gliss?rent, en faisant le moins de bruit possible, sur un grand balcon
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