LAbbesse de Castro | Page 3

Stendhal
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L'ABBESSE DE CASTRO

by Stendhal [1 of 170 pseudnyms used by Marie-Henri Beyle]

Le m?lodrame nous a montr? si souvent les brigands italiens du seizi?me si?cle, et tant de gens en ont parl? sans les conna?tre, que nous en avons maintenant les id?es les plus fausses. On peut dire en g?n?ral que ces brigands furent l'opposition contre les gouvernements atroces qui, en Italie, succ?d?rent aux r?publiques du Moyen Age. Le nouveau tyran fut d'ordinaire le citoyen le plus riche de la d?funte r?publique et, pour s?duire le bas peuple, il ornait la ville d'?glises magnifiques et de beaux tableaux. Tels furent les Polentini de Ravenne, les Manfredi de Faenza, les Riario d'Imola, les Cane de V?rone, les Bentivoglio de Bologne, les Visconti de Milan, et enfin, les moins belliqueux et les plus hypocrites de tous, les M?dicis de Florence. Parmi les historiens de ces petits Etats, aucun n'a os? raconter les empoisonnements et assassinats sans nombre ordonn?s par la peur qui tourmentait ces petits tyrans; ces graves historiens ?taient … leur solde. Consid?rez que chacun de ces tyrans connaissait personnellement chacun des r?publicains dont il savait ?tre ex?cr? (le grand-duc de Toscane, C“me, par exemple, connaissait Strozzi), que plusieurs de ces tyrans p?rirent par l'assassinat, et vous comprendrez les haines profondes, les m?fiances ?ternelles qui donn?rent tant d'esprit et de courage aux Italiens du seizi?me si?cle, et tant de g?nie … leurs artistes. Vous verrez ces passions profondes emp?cher la naissance de ce pr?jug? assez ridicule qu'on appelait l'honneur, du temps de madame de S?vign?, et qui consiste surtout … sacrifier sa vie pour servir le ma?tre dont on est n? le sujet et pour plaire aux dames. Au seizi?me si?cle, l'activit? d'un homme et son m?rite r?el ne pouvaient se montrer en France et conqu?rir l'admiration que par la bravoure sur le champ de bataille ou dans les duels; et, comme les femmes aiment la bravoure et surtout l'audace, elles devinrent les juges supr?mes du m?rite d'un homme. Alors naquit l'esprit de galanterie, qui pr?para l'an?antissement successif de toutes les passions et m?me de l'amour, au profit de ce tyran cruel auquel nous ob?issons tous: la vanit?. Les rois prot?g?rent la vanit? et avec grande raison: de l… l'empire des rubans.
En Italie, un homme se distinguait par tous les genres de m?rite, par les grands coups - d'?p?e comme par les d?couvertes dans les anciens manuscrits: voyez P?trarque, l'idole de son temps; et une femme du seizi?me si?cle aimait un homme savant en grec autant et plus qu'elle n'e–t aim? un homme c?l?bre par la bravoure militaire. Alors on vit des passions, et non pas l'habitude de la galanterie. Voil… la grande diff?rence entre l'Italie et la France, voil… pourquoi l'Italie a vu na?tre les Rapha‰l, les Giorgione, les Titien, les Corr?ge, tandis que la France produisait tous ces braves capitaines du seizi?me si?cle, si inconnus aujourd'hui et dont chacun avait tu? un si grand nombre d'ennemis.
Je demande pardon pour ces rudes v?rit?s. Quoi qu'il en soit, les vengeances atroces et n?cessaires des petits tyrans italiens du Moyen Age concili?rent aux brigands le coeur des peuples. On ha?ssait les brigands quand ils volaient des chevaux, du bl?, de l'argent, en un mot, tout ce qui leur ?tait n?cessaire pour vivre; mais au fond le coeur des peuples ?tait pour eux; et les filles du village pr?f?raient … tous les autres le jeune gar?on qui, une fois dans la vie, avait ?t? forc? d'andar' alla machina, c'est-…-dire de fuir dans les bois et de prendre refuge aupr?s des
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