Lîle des rêves | Page 3

Louis Ulbach
très-calme, et vous me mettriez hors de moi en en doutant.
--Ah ?a! vas-tu finir? dit le capitaine en fron?ant le sourcil.
--Oh! j'ai tout fini! Défiez-vous de l'Anglais! voilà ce que j'avais à vous dire; ce n'est pas long. Ces gens-là en veulent à la marine fran?aise. Après tout, je sais bien que c'est votre affaire de vous compromettre, de vous exposer; moi, je connais ma consigne, je vous sauverai malgré vous et malgré ce goddam!
--Je te défends de lui manquer de respect; il est mon h?te, reprit le capitaine avec fermeté.
--C'est bon, c'est bon, on ménagera le requin; mais vous vous en repentirez.
--Pas autant que de t'écouter.
Et le capitaine Michel poussa doucement Pharamond dehors et lui envoya la porte dans le dos.
Cette amicale brutalité fit grommeler le vieux matelot.
--Je me vengerai, dit-il en serrant ses grosses lèvres comme pour mordre déjà à sa vengeance, mais, en réalité, pour mordre à une pincée de tabac qu'il venait de se glisser sous les dents.
Il est bien entendu que la vengeance dont parlait Pharamond ne pouvait être qu'un service à sa manière rendu au capitaine, malgré lui. Ce fut ainsi que Michel le comprit, et il se remit à sa table pour continuer sa lettre, en riant doucement.
--Bon Pharamond! serait-il heureux de mettre la main sur un coquin! S'aviser de soup?onner sir Olliver! un si parfait gentleman. Je sais bien qu'au premier abord cet Anglais a quelque chose de bizarre, d'excentrique... Bah! comme tous les Anglais! A quoi vais-je songer? Voilà que je tombe dans les sottes idées de mon matelot. N'y pensons plus.
Et après cette résolution fermement prise, le capitaine continua à y songer plus que jamais. Sans accorder à Pharamond aucune autorité morale, il lui reconnaissait, avec la superstition des marins, des voyageurs, des isolés, une sorte d'instinct de dévouement infaillible, une perspicacité canine, en quelque sorte, qui flairait bien les périls.
--Mais quel danger peut venir de cet Anglais? C'est absurde, c'est incroyable, se dit presque à haute voix le brave capitaine. Oui; mais c'est possible. Je vais aller trouver sir Olliver.
Et achevant de donner à sa toilette la correction qui implique l'idée de sévérité et de dignité, le capitaine Michel monta sur le pont du navire où l'Anglais se promenait de long en large, regardant le ciel qui, ce jour-là, était d'un bleu azuré, le plus rassurant du monde pour un navigateur.
--Si c'est avec l'horizon qu'il complote, se dit en souriant le brave Michel, je crois qu'il est trahi par son complice.
Et, sur ce mot, le capitaine fit trois pas en avant, toussa de fa?on à arracher doucement l'Anglais à sa méditation, et le salua avec la courtoisie la plus terre ferme qu'il put évoquer.
[Illustration: ?Eh bien! Milord, vous ne vous plaindrez pas; voilà un beau temps.?]

II
Un voyageur difficile à contenter.
Sir Olliver paraissait avoir trente-cinq ans. Il attestait, par la pureté de son teint, la valeur souvent mise en doute de l'hygiène britannique.
Ses yeux étaient moins bleus que le ciel qu'ils contemplaient; mais ils eussent pu passer pour des beaux yeux d'azur parmi des yeux de fa?ence. Ses favoris et ses cheveux étaient blonds en Angleterre et rouges sur le continent. Assez bien fait, doué d'une jolie prestance que ses vêtements étaient loin de laisser voir, il n'avait rien extérieurement qui p?t alarmer l'observateur le moins optimiste. Il fallait, à coup s?r, les préventions et les préjugés de Pharamond pour soup?onner des emb?ches dans l'esprit paisible de ce voyageur mis à la dernière mode.
Michel eut presque honte de sa démarche, et ce fut de l'air le plus cordial qu'il interpella l'Anglais.
--Eh bien! milord, vous ne vous plaindrez pas; voilà un beau temps.
--Oui, le temps est fort beau, répondit l'Anglais avec un soupir.
--On dirait que cela vous contrarie? Nous ne sommes pas à Londres ici; il ne faut pas voir d'insulte dans un ciel un peu clair.
--Je suis habitué aux contrariétés, répliqua sir Olliver d'un ton languissant.
--Est-ce que vous vous seriez embarqué, par hasard, pour assister à une tempête?
--Oh! oui, à une tempête et à autre chose encore!
--Eh bien, milord, j'en suis faché pour vous, continua le capitaine en raillant et en se frottant les mains; mais nous n'aurons pas le plus petit grain, d'ici longtemps peut-être.
--D'ici longtemps! murmura l'Anglais avec abattement.
--Quel original! se dit Michel.
Un petit silence suivit ce premier abordage. Persuadé qu'il avait affaire à un maniaque sans danger, le capitaine allait se retirer, quand sir Olliver redressa tout à coup la tête, et reprit avec fermeté:
--Monsieur le capitaine, combien co?terait une tempête, au plus juste prix?
La question était bouffonne, faite surtout dans ce fran?ais anglaisé et avec cet accent que nous ne cherchons pas à noter, afin de laisser au récit toute sa clarté. Michel revint sur ses pas.
--Une tempête! vous voulez rire.
--Je ne ris jamais, moi, je suis toujours sérieux.
En effet, c'était avec le plus imperturbable sang-froid
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