maintenu sur le dos
tandis que l'autre, d'un seul coup, lui tranchait la gorge. Après, c'avait
été le pillage, la recherche fiévreuse de l'argent, des titres, des bibelots
de prix, puis la fuite...
Onésime Coche se retourna, afin de résumer dans sa pensée toute la
scène. Sur la table, trois verres étaient posés dans lesquels il restait un
peu de vin. Leur forfait accompli, les meurtriers ne s'étaient pas sauvés
tout de suite: certains de n'être plus dérangés, ils avaient bu. Ensuite ils
s'étaient lavé les mains, et avaient essuyé leurs doigts.
Une fureur soudaine envahit l'âme du reporter. Il serra les poings et
gronda:
-- Ah! les crapules! les crapules!
Qu'allait-il faire maintenant? Chercher du secours? Appeler? À quoi
bon? Tout était fini, tout était inutile. Il demeurait immobile, hébété, le
cerveau rempli par la vision du meurtre. Et soudain, son esprit joignit
les assassins. Il les devina assis dans quelque bouge, partageant le butin,
maniant de leurs doigts rougis les objets dérobés. Pour la seconde fois,
il murmura:
-- Crapules! Crapules!...
Un désir l'envahit de les retrouver, et de les voir, non plus triomphants
et féroces ainsi qu'ils avaient dû s'asseoir à cette table, près de ce
cadavre, mais effondrés, livides, grimaçants, au banc de la cour
d'assises, entre deux gendarmes. Il imagina ce que pourraient être leurs
horribles faces tandis qu'on leur lirait l'arrêt de mort, et leur marche à la
guillotine, au petit jour, sous la lueur du matin blême. La loi, la force,
le bourreau lui apparurent formidables, terribles et justes. Tout d'un
coup, par un revirement soudain, cette loi, cette force, et ce bras
séculier lui semblèrent des fantoches ridicules dont se riaient les
criminels. La Police, incapable de veiller sur la sécurité des gens, était
trop maladroite pour mettre la main sur les assassins. De temps en
temps, elle en arrêtait bien un, au petit bonheur, et parce que le hasard
se mettait dans son jeu. Mais, pour un gredin pris au collet, combien de
crimes impunis! La Police se fait non avec des brutes solides, mais
avec des cerveaux intelligents, avec des artistes véritables, des hommes
qui considèrent leurs fonctions moins comme un métier que comme un
sport. Pour peu qu'un criminel ne commette pas une lourde maladresse,
il est sûr de l'impunité. L'homme qui ne laisse rien derrière lui, peut
voler, tuer en toute sécurité. Le crime découvert, on cherche dans
l'entourage de la victime, on fouille sa vie au hasard, on remue ses
papiers. Si le meurtrier n'a jamais été mêlé à son existence, au bout de
quelques mois de recherches, après qu'un juge d'instruction entêté ait
gardé sous les verrous un pauvre diable dont l'innocence finit par
éclater, l'affaire est classée, et les criminels, enhardis par le succès,
recommencent, plus forts et plus introuvables cette fois, parce que les
maladresses des policiers dont ils ont pu suivre le travail, leur ont
enseigné l'art de ne pas se faire prendre.
Et pourtant, quel métier plus passionnant, que celui de chasseur
d'homme? Sur un indice à peine perceptible pour d'autres yeux, revivre
tout un drame, dans ses moindres détails! D'une empreinte, d'un bout de
papier, d'un objet déplacé, remonter à la source même des faits!
Déduire de la position d'un corps, le geste du meurtrier; de la blessure,
sa profession, sa force; de l'heure où le crime fut commis, les habitudes
de l'assassin. Par le seul examen des faits, reconstituer une heure
comme un naturaliste reconstitue l'image d'un animal préhistorique à
l'aide d'une seule pièce de son squelette... quelles sensations
prodigieuses, quel triomphe! L'inventeur en connaît-il de supérieures,
lui qui, pendant des jours et des nuits, s'enferme dans son laboratoire,
acharné à trouver la solution d'un problème!... et le but qu'il poursuit lui
est immobile. Il sait que la vérité est une et ne se déplace pas, que les
événements ne la modifient pas, que tous les pas qu'il fait le
rapprochent d'elle; il sait qu'il avance lentement, mais sûrement; que, si
la voie qu'il a choisie est bonne, la solution ne peut, à la dernière
seconde, lui échapper. Pour le policier, au contraire, c'est l'angoisse de
tous les instants, la piste qui se fausse, le but, un instant entrevu, qui
disparaît, le problème renouvelé sans cesse, avec la solution qui
s'éloigne, se rapproche, et semble fuir; c'est le cri de triomphe soudain
arrêté dans la gorge, la vie multiple, surnaturelle, faite de tous les
espoirs, de toutes les craintes de toutes les déceptions; c'est la lutte
contre tout, contre tous, exigeant à la fois la science du savant, la ruse
du chasseur, le sang-froid du chef d'armée, la patience, le courage et
l'instinct supérieur qui seuls font les grands hommes, et, seuls,
conduisent aux grandes choses. Ces minutes prodigieuses, songeait
Coche, je voudrais les connaître, les vivre; je voudrais être parmi la
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