Lénore et autres ballades | Page 9

Gottfried August Bürger
flots; il distingue dans ses vapeurs tous les supp?ts de Satan. La horde infernale s'élance vers lui du fond du vaste ab?me.
Il fuit à travers les champs et les bois qui retentissent de ses cris douloureux. Mais la meute furieuse le poursuit sans cesse, le jour dans les profondeurs de la terre, la nuit dans l'espace des airs.
Son visage est resté tourné sur son dos. Dans sa fuite rapide il voit toujours les monstres excités contre lui par l'esprit des enfers. Il les voit grincer des dents et chercher à le saisir.
C'est la chasse infernale qui durera jusqu'au jour du jugement, et qui souvent, dans la nuit, vient effrayer l'habitant des forêts. Maint chasseur pourrait en raconter de terribles récits, s'il avait le courage d'en parler.

LENARDO ET BLANDINE
L'amour le plus tendre enflammait les regards de Lenardo et de Blandine. Blandine était la plus belle des princesses: Lenardo le plus beau de tous les pages.
De tous c?tés, princes, ducs et comtes, couverts d'or et de diamants, accouraient pour disputer la main de la plus belle des princesses.
Mais, ni l'or, ni les bijoux, ni les diamants ne plaisaient à son coeur comme la fleur modeste cueillie par le beau page.
Si Lenardo n'était pas issu d'une illustre origine, il possédait de nobles sentiments. Le valet et le chevalier sont tous deux créés d'un peu de boue. L'élévation de l'ame est la seule noblesse.
Un jour la princesse, entourée d'une foule joyeuse de courtisans, se reposait sous un pommier. Elle savourait avec délices les fruits que cueillait l'agile Lenardo.
Elle choisit dans sa corbeille d'argent une pomme aux couleurs d'or et de pourpre. Elle la lui présente et lui dit:
?Prends cette pomme, qu'elle soit la récompense de tes soins. Les meilleurs fruits ne sont pas tous pour les princes. Celui-ci est séduisant au dehors: je souhaite que ce qu'il contient te plaise encore davantage.?
Le page se dérobe aux regards importuns. Retiré dans sa retraite, il ouvre le fruit précieux. O surprise! une tablette y était adroitement cachée. Il lit ces mots:
?O toi, plus aimable que les comtes et les seigneurs! toi dont les sentiments sont plus nobles et plus tendres que ceux des hommes sortis de races antiques.
à l'heure de minuit, abandonne le lit et le sommeil. Rends-toi sous l'arbre qui porte la pomme de l'amour. Le bonheur t'y attend. C'est t'en dire assez.?
Cette nouvelle parut au page si heureuse et si surprenante, qu'il en douta longtemps. Son coeur flottait entre l'ivresse de l'amour et les tourments de l'incertitude.
Mais, à l'heure de minuit, à l'heure où les astres innombrables abaissaient leurs regards silencieux sur la terre, il sort de son lit, il abandonne le sommeil, et se rend au jardin, au lieu désigné.
Il attendait assis sous l'arbre de l'amour; un bruit léger se fait entendre, le gazon est pressé par des pieds délicats; avant que Lenardo se soit retourné, deux bras d'albatre l'enlacent, et une haleine suave a passé sur son visage.
Il veut parler; des baisers voluptueux ferment ses lèvres, et, sans qu'un mot ait été prononcé, une main caressante l'entra?ne.
Blandine le conduit avec précaution et d'un pas timide ?Viens, mon ami, viens avec moi: la brise nocturne est glacée. Il n'est ici aucun abri. Viens dans ma chambre discrète.?
à travers les épines, les pierres et les ronces, ils arrivent à une ancienne grotte faiblement éclairée par la pale lueur d'une lampe; ils traversent un long souterrain.
Princes, seigneurs et gardes, tout dormait. Mais hélas! veillait la noire jalousie. Lenardo! Lenardo! quel sera ton sort avant que le coq ait fait entendre le chant du matin!
De la plus riche province d'Espagne était venu un prince orgueilleux, couvert d'or et de diamants. Il était venu pour demander la main de la belle princesse.
Il br?lait, d'une passion ardente; mais en vain. Depuis plusieurs années il restait en Bourgogne, sans espoir de succès, et sans vouloir abandonner son entreprise.
Aussi l'orgueilleux étranger ne connaissait de repos ni le jour ni la nuit: et à l'heure du rendez-vous, il était dans le jardin.
Il vit et entendit tout; car tout se passa près de lui. Il grin?ait des dents, et le sang ruisselait de ses lèvres. ?Avertissons sur-le-champ, le prince de Bourgogne.?
Et, au même instant, il pénètre dans l'appartement du prince, malgré les gardes. ?Je veux lui parler sur l'heure, dit-il, car la trahison le menace.?
--Réveille-toi, prince de Bourgogne; l'ornement de ton tr?ne a perdu son éclat. Blandine, ta fille, est à cette heure dans les bras d'un valet!?
Le vieillard se réveille: sa fille était tout son bonheur. Il l'aimait plus que sceptre et couronne, il la préférait même à l'éclat du tr?ne.
Furieux, il s'élance de son lit: ?Tu mens, tra?tre, tu mens; mais tout ton sang paiera ton mensonge, si tu as osé me tromper!?
--Vieillard, je me livre en otage. Mais hate-toi. Tu verras la vérité. Si j'ai menti, que la Bourgogne
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