feuillage, ne faisait plus pénétrer sur les tiges des arbres et sur les
terrains moussus que des tons froids semblables à la lumière verdâtre
de la lune.
Il n'est pas un coin de la France où les grosses pierres ne frappent
vivement l'imagination du paysan, et quand de certaines légendes s'y
attachent, vous pouvez être certain, quelle que soit l'hésitation des
antiquaires, que le lieu a été consacré par le culte de l'ancienne Gaule.
Il y a aussi des noms qui, en dépit de la corruption amenée par le temps,
sont assez significatifs pour détruire les doutes. Dans une certaine
localité de la Brenne on trouve le nom très bien conservé des Druiders.
Ailleurs, on trouve les durders, à Crevant les Dorderins. C'est un semis
de ces énormes galets granitiques au sommet d'un monticule conique.
Le plus élevé est un champignon dressé sur de petits supports. Ce
pourrait être un jeu de la nature, mais ce ne serait pas une raison pour
que cette pierre n'eût pas été consacrée par les sacrifices. D'ailleurs elle
s'appelle le grand Dorderin. C'est comme si l'on disait, le grand autel
des Druides.
Un peu plus loin, sur le revers d'un ravin inculte et envahi par les eaux,
s'élèvent les parelles. Cela signifie-t-il _pareilles, jumelles, ou le mot
vient-il de patres, comme celui de marses_ ou martes vient de matres
selon nos antiquaires[3]? Ces parelles ou patrelles sont deux masses à
peu près identiques de volume et de hauteur, qui se dressent, comme
deux tours, au bord d'une terrasse naturelle d'un assez vaste
développement. Leur base repose sur des assises plus petites. J'y ai
trouvé une scorie de mâche-fer, qui m'a donné beaucoup à penser. Ce
lieu est loin de toute habitation et n'a jamais pu en voir asseoir aucune
sur ses aspérités aux fonds inondés. Qu'est-ce qu'une scorie de forge
venait faire sous les herbes, dans ce désert où ne vont pas même les
troupeaux? Il y avait donc eu là un foyer intense, peut-être une habitude
de sacrifices?
J'ai parlé de ce lieu parce qu'il est à peu près inconnu. Nos histoires du
Berry n'en font mention que pour le nommer et le ranger
hypothétiquement et d'une manière vague parmi les monuments
celtiques. Il est cependant d'un grand intérêt aux points de vue
minéralogique, historique, pittoresque et botanique.
A une demi-lieue de là on voyait encore, il y a quelques années, le trou
aux Fades (la grotte aux Fées), que le propriétaire d'un champ voisin a
jugé à propos d'ensevelir sous les terres, pour se préserver
apparemment des malignes influences de ces martes. C'était une
habitation visiblement taillée dans le roc et composée de deux
chambres, séparées par une sorte de cloison à jour. Les paysans
croyaient voir, dans un enfoncement arrondi, le four où ces anachorètes
faisaient cuire leur pain. Toutefois, cet ermitage n'avait pas été consacré
par le séjour de bonnes âmes chrétiennes. Autrement la dévotion s'en
fut emparée comme partout ailleurs, pour y établir des pèlerinages et y
poser, tout au moins, une image bénite. Loin de là; c'était un _mauvais
endroit_, où l'on se gardait bien de passer. Aucun sentier n'était tracé
dans les ronces; les paysans vous disaient que les fades étaient des
femmes sauvages de l'ancien temps, et qu'elles faisaient manger les
enfants par des louves blanches.
Pourquoi l'antique renommée des prêtresses gauloises est-elle, selon les
localités, tantôt funeste, et tantôt bénigne? On sait qu'il y a eu différents
cultes successivement vainqueurs les uns des autres, avant et l'on dit
même l'occupation romaine. Là où les antiques prêtresses sont restées
des génies tutélaires, on peut être bien sûr que la croyance était sublime;
là où elles ne sont plus que des goules féroces, le culte a dû être
sanguinaire. Les martes, que nous avons nommées à propos des fades,
sont des esprits mâles et femelles. Dans les rochers où se précipite le
torrent de la Porte-feuille, près de Saint-Benoît-de-Sault, elles
apparaissent sous les deux formes et, à quelque sexe qu'elles
appartiennent, elles sont également redoutables. Mâles, elles sont
encore occupées à relever les dolmens et menhirs épars sur les collines
environnantes; femelles, elles courent, les cheveux flottants jusqu'aux
talons, les seins pendants jusqu'à terre, après les laboureurs qui refusent
d'aider à leurs travaux mystérieux. Elles les frappent et les torturent
jusqu'à leur faire abandonner en plein jour la charrue et l'attelage. Une
cascade très pittoresque au milieu de rochers d'une forme bizarre,
s'appelle l'Aire aux Martes[4]. Quand les eaux sont basses, on voit les
ustensiles de pierre qui servent à leur cuisine. Leurs hommes mettent la
table, c'est-à-dire la pierre du dolmen sur ses assises. Quant à elles,
elles essaient follement, vains et fantasques esprits qu'elles sont,
d'allumer du feu dans la cascade de Montgarnaud et d'y faire bouillir
leur marmite de granit. Furieuses d'échouer sans cesse, elles font
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