bruit régulier de la braye d'une manière qui n'était pas naturelle. Il fallait la laisser tranquille, et si elle s'obstinait à revenir plusieurs nuits de suite, mettre une vieille lame de faux en travers de l'instrument dont elle avait coutume de s'emparer pour faire son vacarme, elle s'amusait un moment à vouloir broyer cette lame, puis elle s'en dégo?tait, la jetait en travers de la porte et ne revenait plus.
Il y avait encore la peillerouse de nuit qui se tenait sous la guenillière de l'église. Peille est un vieux mot fran?ais qui signifie haillon; c'est pourquoi le porche de l'église, où se tiennent, pendant les offices les mendiants porteurs de peilles, s'appelle d'un nom analogue.
Cette peillerouse accostait les passants et leur demandait l'aum?ne. Il fallait se bien garder de lui rien donner; autrement elle devenait grande et forte, de cacochyme qu'elle vous avez semblé, et elle vous rouait de coups. Un nommé Simon Richard, qui demeurant dans l'ancienne cure et qui soup?onnait quelque espièglerie des filles du bourg à son intention particulière, voulut batifoler avec elle. Il fut laissé pour mort. Je le vis sur le flanc, le lendemain, très rossé et très égratigné, en effet. Il jurait n'avoir eu affaire qu'à une petite vieille ?qui paraissait cent ans, mais qui avait la poigne comme trois hommes et demi.?
On voulut en vain lui faire supposer qu'il avait eu affaire à un ga plus fort que lui, qui, sous un déguisement, s'est vengé de quelque mauvais tour de sa fa?on. Il était fort et hardi, même querelleur et vindicatif. Pourtant, il quitta la paroisse aussit?t qu'il fut debout et n'y revint jamais, disant qu'il ne craignait ni homme ni femme. Mais bien les gens qui ne sont pas de ce monde et qui n'ont pas le corps fait en chrétiens.
La Grand'bête
Les enfants du père Germain revenaient chargés de fagots qu'ils avaient dérobés. Au sortir des tailles de Champeaux, ils entendirent tous les oiseaux du bois crier à la fois, et virent une bête _qui était faite comme un veau, tout comme un lièvre aussi_. C'était la grand'bête.
Maurice SAND.
Sous les noms de _bigorne, de chien blanc, de bête navette, de vache au diable, de piterne, de taranne_, etc., etc., un animal fabuleux se promène, de temps immémorial, dans les campagnes et pénètre même dans les habitations, on ne sait plus dans quel dessein, tant on lui fait bonne guerre pour le repousser, dès que sa présence est signalée dans une localité.
Dans nos provinces du centre, ce que l'on raconte de la Grand'bête s'accorde particulièrement avec ce qui est dit de la Taranne dans les provinces du nord. C'est le plus souvent une chienne de la taille d'une génisse. Les enfants et les femmes, qui ont l'imagination vive, lui ont bien vu des cornes, des yeux de feu, et l'assemblage hétérogène des formes de divers animaux; mais les gens calmes et clairvoyants ont décidé, en dernier ressort, que c'est une levrette, et tant de ces personnes sages l'on vue, qu'il faut bien adopter cette version la plus accréditée.
De toutes les antiques superstitions, celle-ci est la moins effacée. La Grand'bête a fait sa dernière apparition dans nos environs, il n'y a pas plus de cinq ou six ans, et il n'est pas prouvé qu'elle soit décidée à ne plus repara?tre.
Dans mon enfance, j'allais souvent me promener, les soirs d'été, à une métairie appartenant à ma grand'mère et située dans les terres, à une demi-lieue de chez nous. Cette métairie a été longtemps le théatre des grands sorcelages et des apparitions les mieux conditionnés. Je n'oublierai jamais une soirée où l'orage nous avait retenus, mon frère et moi, jusqu'à la grand'nuit, c'est-à-dire entre neuf et dix heures du soir. J'avais une dizaine d'années, mon frère avait quinze ans et faisait le brave. Quant à moi, je le confesse, j'avais grand'peur: la bête avait paru la veille, disait-on, autour de la ferme, et manquablement, c'est-à-dire infailliblement, elle allait repara?tre dès que je jour aurait pris fin.
Je crois toujours voir les apprêts du combat. Les hommes s'armant de fourches de fer et de batons; le métayer prenant, au manteau de la cheminée, et chargeant de balles bénites son long fusil à un seul canon; sa vieille mère faisant ranger les enfants au fond de la chambre, entre les deux lits de serge jaune, et se mettant elle-même en prières avec ses brus et ses servantes, devant une image coloriée qui représentait je ne sais plus quel général de l'Empire que l'on prenait là pour un _bon saint_, les colporteurs de cette époque vendant n'importe quoi, comme figures de dévotion aux paysans.
Et puis, on ferma les portes et fenêtres, et on accota les battants; et, comme les petits enfants criaient, on les gourmanda et on les mena?a de les mettre dehors s'ils ne se taisaient. Il fallait écouter
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