isolées dans la région intermédiaire du calcaire au granit, sont regardées de travers par les passants attardés. Ces pierres prennent figure et font des grimaces plus ou moins mena?antes, selon que les regards curieux des profanes leur déplaisent plus ou moins. On dit qu'elles parleraient bien si elles pouvaient, et que même les sorciers fins, c'est-à-dire très savants, peuvent les forcer à dire bonsoir. Mais elles sont si têtues et si bornées qu'on n'a jamais pu leur en apprendre davantage. Quelquefois on passe auprès d'elles sans les voir; c'est qu'en réalité, dit-on, elles n'y sont plus. Elles ont été faire un tour de promenade, et il faut vite s'éloigner le plus possible du chemin qu'elles doivent prendre pour revenir à leur place accoutumée. On ne dit pas si, comme les peulvans bretons, elles vont boire à quelque eau du voisinage. Tant il y a quelles sont aussi bêtes que méchantes, car elles se trompent quelquefois de g?te, et des gens qui les ont vues un soir couchées sur une lande aride les revoient le lendemain, à la même heure, debout dans un champ ensemencé. Elles y font du dommage et crèvent brutalement les cl?tures. Mais le plus prudent est de ne pas avertir le propriétaire car, outre qu'il lui serait bien impossible d'enlever ces masses inertes, ?quand même il y mettrait douze paires de boeufs?, il se pourrait bien qu'elles prissent fantaisie de l'écraser. D'ailleurs elles sont condamnées à retourner dans leur endroit; si elles n'ont pas assez de mémoire pour le retrouver tout de suite, c'est tant pis pour elles: elles erreront un an, s'il le faut, en courant sur leur tranche, ce qui les fatigue beaucoup, et il leur est défendu de se reposer autrement que debout, tant qu'elles n'ont pas regagné le lieu où elles ont permission de se coucher.
Nous avons vu quelquefois de ces pierres appelées pierres-caillasses ou pierres-sottes. Ce sont de vraies pierres de calcaire caverneux, dont les trous nombreux et irréguliers donnent facilement l'idée de figures monstrueuses. Quand les inspecteurs des routes les rencontrent à leur portée, ils les font briser et _elles n'ont que ce qu'elles méritent_.
Nous le voulons bien, quoique ces pauvres pierres ne nous aient jamais fait de mal. Cependant on assure que si on ne se dépêche de les briser et de les employer, elles quittent le bord du chemin où on les a rangées et se mettent, de nuit, tout en travers du passage, pour faire abattre les chevaux et verser les voitures. Moralité: le voiturier ne doit pas se coucher et s'endormir sur sa charrette.
Quant à vous, esprits forts, qui demandez pourquoi cette grosse pierre se trouve dans telle haie ou sur le bord de tel fossé, si l'on vous répond d'un air mystérieux: Oh! elle n'est pas pour rester là! Sachez ce que parler veut dire, et ne vous amusez pas à la regarder: vous pourriez la mettre de mauvaise humeur contre vous et la retrouver, le lendemain, dans votre jardin, tout au beau milieu de vos cloches à melons ou de vos plates-bandes de fleurs.
Les Demoiselles
J'en viyons[5] une, j'en viyons deux, Que n'aviant ni bouches ni z'yeux; J'en viyons trois, j'en viyons quatre, Je les arions bien voulu battre. J'en viyons cinq, j'en viyons six Qui n'aviant pas les reins bourdis[6] Darrier s'en venait la septième, J'avons jamais vu la huitième.
Ancien couplet recueilli par Maurice SAND.
Les Demoiselles du Berry nous paraissent cousines des Milloraines de Normandie, que l'auteur de la Normandie merveilleuse décrit comme des êtres d'une taille gigantesque. Elles se tiennent immobiles et leur forme, trop peu distincte, ne laisse reconna?tre ni leurs membres ni leur visage. Lorsqu'on s'approche, elles prennent la fuite par une succession de bonds irréguliers très rapides.
Les demoiselles ou filles blanches sont de tous les pays. Je ne les crois pas d'origine gauloise, mais plut?t fran?aise du moyen-age. Quoi qu'il en soit, je rapporterai une des légendes les plus complètes que j'aie pu recueillir sur leur compte.
Un gentilhomme du Berry, nommé Jean de La Selle, vivait, au siècle dernier, dans un castel situé au fond des bois de Villemort. Le pays, triste et sauvage, s'égaye un peu à la lisière des forêts, là où le terrain sec, plat et planté de chênes, s'abaisse vers des prairies que noient une suite de petits étangs assez mal entretenus aujourd'hui.
Déjà, au temps dont nous parlons, les eaux séjournaient dans les prés de M. de La Selle, le bon gentilhomme n'ayant pas grand bien pour faire assainir ses terres. Il en avait une assez grande étendue, mais de chétive qualité et de petit rapport.
Néanmoins, il vivait content, grace à des go?ts modestes et à un caractère sage et enjoué. Ses voisins le recherchaient pour sa bonne humeur, son grand sens et sa patience à la chasse. Les paysans de son domaine et des environs le
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