Keraban Le Tetu, vol 1 | Page 5

Jules Verne
au lieu de huit jours, il a mis un mois �� s'y rendre! Vois-tu, Bruno, j'ai vu bien des ent��t��s dans ma vie, mais d'un ent��tement comparable au sien, jamais!
--Il sera singuli��rement surpris de vous rencontrer ici, �� Constantinople! dit Bruno.
--Je le crois, r��pondit Van Mitten, et j'ai pr��f��r�� lui faire cette surprise! Mais, au moins, dans sa soci��t��, nous serons en pleine Turquie. Ah! ce n'est pas mon ami K��raban qui consentira jamais �� rev��tir le costume du Nizam, la redingote bleue et le fez rouge de ces nouveaux Turcs!...
--Lorsqu'ils ?tent leur fez, dit en riant Bruno, ils ont l'air de bouteilles qui se d��bouchent.
--Ah! ce cher et immutable K��raban! reprit Van Mitten. Il sera v��tu comme il l'��tait lorsqu'il est venu me voir l��-bas, �� l'autre bout de l'Europe, turban ��vas��, cafetan jonquille ou cannelle....
--Un marchand de dattes, quoi! s'��cria Bruno.
--Oui, mais un marchand de dattes qui pourrait vendre des dattes d'or ... et m��me en manger �� tous ses repas! Voil��! Il a fait le vrai commerce qui convienne �� ce pays! N��gociant en tabac! Et comment ne pas faire fortune dans une ville o�� tout le monde fume du matin au soir, et m��me du soir au matin?
--Comment, on fume? s'��cria Bruno. Mais o�� voyez-vous donc ces gens qui fument, mon ma?tre? Personne ne fume, au contraire, personne! Et moi qui m'attendais �� rencontrer devant leur porte des groupes de Turcs, enroul��s dans les serpentins de leurs narghil��s, ou le long tuyau de cerisier �� la main et le bouquin d'ambre �� la bouche! Mais non! Pas m��me un cigare! pas m��me une cigarette!
--C'est �� n'y rien comprendre, Bruno, r��pondit Van Mitten, et, en v��rit��, les rues de Rotterdam sont plus enfum��es de tabac que les rues de Constantinople!
--Ah ?a! mon ma?tre, dit Bruno, ��tes-vous s?r que nous ne nous soyons pas tromp��s de route? Est-ce bien ici la capitale de la Turquie? Gageons que nous sommes all��s �� l'oppos��, que ceci n'est point la Corne-d'Or, mais la Tamise, avec ses mille bateaux �� vapeur! Tenez, cette mosqu��e l��-bas, ce n'est pas Sainte-Sophie, c'est Saint-Paul! Constantinople, cette ville? Jamais! C'est Londres!
--Mod��re-toi, Bruno, r��pondit Van Mitten. Je te trouve beaucoup trop nerveux pour un enfant de la Hollande! Reste calme, patient, flegmatique, comme ton ma?tre, et ne t'��tonne de rien. Nous avons quitt�� Rotterdam �� la suite ... de ce que tu sais....
--Oui!... oui!... fit Bruno, en hochant la t��te.
--Nous sommes venus par Paris, le Saint-Gothard, l'Italie, Brindisi, la M��diterran��e, et tu aurais mauvaise grace �� croire que le paquebot des Messageries nous a d��pos��s �� London-Bridge, apr��s huit jours de travers��e, et non au pont de Galata!
--Cependant... dit Bruno.
--Je t'engage m��me, en pr��sence de mon ami K��raban, �� ne point faire de ces sortes de plaisanteries! Il pourrait bien les prendre fort mal, discuter, s'ent��ter....
--On y veillera, mon ma?tre, r��pondit Bruno. Mais, puisqu'on ne peut se rafra?chir ici, il est bien permis, je suppose, de fumer sa pipe!--Vous n'y voyez aucun inconv��nient?
--Aucun, Bruno. En ma qualit�� de marchand de tabac, rien ne m'est plus agr��able que de voir fumer les gens! Je regrette m��me que la nature ne nous ait donn�� qu'une bouche! Il est vrai que le nez est l�� pour priser le tabac....
--Et les dents pour le macher!? r��pondit Bruno.
Et tout en parlant, il bourrait son ��norme pipe de porcelaine peinturlur��e; puis, il l'alluma avec son briquet et en tira quelques bouff��es, non sans une ��vidente satisfaction.
Mais, en ce moment, les deux Turcs, qui avaient si singuli��rement protest�� contre les abstinences du Ramadan, reparurent sur la place. Pr��cis��ment, celui qui ne se g��nait point de fumer sa cigarette aper?ut Bruno, flanant, la pipe �� la bouche.
?Par Allah! dit-il �� son compagnon, voil�� encore un de ces maudits ��trangers qui ose braver la d��fense du Koran! Je ne le souffrirai pas....
--��teins au moins ta cigarette! lui r��pondit l'autre.
--Oui!?
Et, jetant sa cigarette, il alla droit au digne Hollandais, qui ne s'attendait point �� ��tre interpell�� de la sorte:
?Au coup de canon,? dit-il!
Et il lui arracha brusquement sa pipe.
?Eh! ma pipe! s'��cria Bruno, que son ma?tre cherchait vainement �� contenir.
--Au coup de canon, chien de chr��tien!
--Chien de Turc toi-m��me!
--Du calme, Bruno, dit Van Mitten.
--Qu'il me rende ma pipe, au moins! r��pliqua Bruno.
--Au coup de canon! r��p��ta une derni��re fois le Turc, en faisant dispara?tre la pipe dans les plis de son cafetan.
--Viens, Bruno, dit alors Van Mitten! Il ne faut jamais blesser les usages des pays que l'on visite!
--Des usages de voleurs!
--Viens, te dis-je. Mon ami K��raban ne doit pas se trouver sur cette place avant sept heures. Continuons donc notre promenade, et nous le rejoindrons quand il en sera temps!?
Van Mitten entra?na Bruno, tout d��pit�� d'avoir ��t�� si violemment s��par�� d'une pipe, �� laquelle il tenait en v��ritable fumeur.
Et, pendant qu'ils s'en allaient ainsi, les deux
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